[c. 14 September 1766]
Le vieux malade espère mourir bientôt pour ne plus voir de ces horreurs.
Il voit trop que le même esprit qui les a fait naître, les maintient, et les maintiendra.
On nous trompait quand on nous promettait de la douceur. Un Tigre mangera toujours des agneaux, mais ne le deviendra pas.
La Lettre que ce pauvre père de famille m'écrit me déchire le cœur. Je me trouve moi même dans une situation très pénible pour avoir pris hautement son parti. Ceux qui sont paiés et honorés pour faire du mal au nom de Dieu, sont les maîtres absolus dans leur tripot infernal et sacré. J'ai reçu des Lettres anonimes dans lesquelles on me menace beaucoup si je continue à prendre part dans cette affaire.
Je vous prie, mon cher philosophe, de vouloir bien écrire au père de famille l'état où je me trouve, sans me nommer. Made la Duchesse D'Anville serait la seule personne qui pourait rendre quelque service dans cette affaire auprès d'un athée qui cherche à plaire à des fanatiques.
Je vous embrasse tendrement, et ne puis vous en dire d'avantage, ni ne puis écrire au père de famille.
Je vous suplie instamment de lui mander que de très tristes raisons me forcent de ne pas écrire un seul mot par la poste sur la tolérance et sur la justice qu'on fait aux hommes. Vous, mon cher philosophe, vous pouvez mander tout ce que vous voudrez, vous êtes libre, vous êtes né libre, et je suis né esclave.