1767-09-20, de François Marie Coger à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur, dans la lettre que j'ai eu l'honneur de vous écrire pour répondre à la vôtre, je me suis justifié du reproche que vous me faisiez d'avoir voulu vous outrager& vous perdre.
Mais vous, monsieur, comment pourrez vous faire agréer aux personnes sages & judicieuses les injures grossières que vous me prodiguez dans votre lettre du 7 auguste à m. Marmontel, & celles qui se trouvent dans l' Honnêteté théologique? Est ce ainsi que vous observez la tolérance, que vous prêchez partout avec tant de chaleur, & dont vous jouissez avec trop de sécurité? Ou bien avez vous oublié ce que vous avez dit vous même tant de fois, que les injures sont les raisons de ceux qui ont tort?

Comment prêter un discours de ligueur & de forcené à un syndic choisi par le roi, pour maintenir la paix & le bon ordre dans la faculté de théologie, honoré de la confiance de la cour & de l'estime du public? Est il possible qu'un grand peintre pèche contre le costume d'une manière si ridicule? Vous avez voulu décrier & mortifier deux personnes occupées utilement à former des citoyens à l'état; mais vous vous êtes trompé: toutes vos invectives ne pourront ni flétrir notre réputation, ni ralentir notre amour pour la vérité. Nous rendrons toujours justice à vos talents littéraires; & cependant nous gémirons sur l'abus que vous en faites, au scandale des mœurs & de la religion.

La vieillesse est le temps du repos & de la tranquillité: eh! pourquoi, monsieur, appeler l'orage & la tempête jusque dans le port? Pourquoi verser vous même sur vos derniers jours une coupe de fiel & d'amertume? De quel œil osez vous envisager l'éternité qui s'avance à grands pas, et qui doit vous éclaircir au moins de grands doutes, pour me servir de l'expression du philosophe Gassendi, au lit de la mort?

Vous avez, monsieur, des panégyristes enthousiastes qui vous enivrent de leur encens: vous avez des ennemis jaloux, qui vous déchirent par leurs traits satiriques; & vous n'avez pas un seul ami qui ait le courage de vous dire la vérité, aussi sincèrement que moi. Je suis donc, plus que personne, monsieur,

votre très humble, &c.