20e mars 1772
Mes divins anges, si cette lettre du pays des neiges parvient jusqu’à vous, si parmi les sottises de Paris vous daignez vous intéresser un peu aux sottises de la Crête, vous saurez que le jeune avocat du Roncel est toujours reconnaissant comme il doit l’être des bontés du quatuor.
Il lui est venu un petit scrupule qu’il m’a confié et sur lequel je vous consulte. Il a peur que Teucer aiant paru déterminé dès le second acte à étendre son autorité trop bornée, et à ne pas souffrir le sacrifice d’Astérie, ne paraisse se démentir au 3e acte lorsque la violence de Datame a changé la situation des affaires; il craint qu’on ne reproche à Teucer de changer aussi trop aisément; il prétend que Teucer ne saurait trop insister sur les raisons qui le forcent à souffrir le supplice d’Astérie contre lequel il s’était déclaré d’abord si hautement.
Voici donc une petite addition qu’il a faite à ce 3e acte, et qu’il me prie instamment de vous envoyer. Il est juste qu’après vous avoir soumis toute la figure il ne raccommode pas une ongle sans vous consulter.
acte 3e scène 5e
LE HERAULT
On ne veut point sans vous juger cet attentat,Et la mort d’Astérie occupe le sénat.TEUCER
Sa mort! — j’ai vu mourir mon épouse et ma fille.Trahirais je après tout le sang de ma famillePour un sang ennemi des Crêtois détesté?M’armerais je contre eux par excès de bonté?Mais faut il immoler Astérie à la Crête?La supersitition sera donc satisfaite!Quoi! cette enfant….LE HERAULT
Son père accablé par les ansLes yeux baignés de pleurs arrive à pas pesants&c.
De là mon petit avocat passe à vous supplier de faire porter cette correction sur la pièce, ou par votre secrétaire, ou par celui de m. de Thibouville.
Cet avocat ne plaide que pour vous plaire; il craint même que son factum ne paraisse à l’audience des comédiens. Il est toujours dans l’idée que ces messieurs n’ont ni goût, ni sentiment, ni raison; qu’ils ne se connaissent pas plus en tragédie que les libraires en livres, et qu’en tout ils sont aussi mauvais juges que mauvais acteurs; qu’enfin il est honteux d’en être condamné. C’est à vous de juger de ces moyens que mon avocat emploie; je ne puis lui donner de conseil, moi qui suis absent de Paris depuis vingt quatre ans, et qui ne suis au fait de rien.
On m’a dit d’étranges nouvelles de notre tripot plus respectable. Je ne sais si on me trompe, mais on m’assure que tout va changer. Je ne crois que vous en vers et en prose.
Je me mets à l’ombre de vos ailes. Si cette facétie vous a amusé un peu je me tiens très content.