1766-03-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha.

Madame,

Je ne sçais comment les mauvaises plaisanteries dont votre altesse sérénissime daigne me parler sont parvenues jusqu'à elle.
J'ay eu l'honneur de luy envoier par la dernière poste deux de ces rogatons que j'ay fait chercher dans Geneve. On imprime tout le receuil en Suisse et j'espère qu'à la fin de mars j'enverrai à votre altesse se cette collection de fadaises théologiques puisqu'elle veut bien s'en amuser.

Je ne m'attendais pas madame à jouir du bonheur de vous renouveller de ma main mes sincères et respectueux hommage. Les fluxions qui me privaient de la vue, ne me laissaient pas d'espérance, mais enfin elles ont fait avec moy une trêve dont je profite. Mes yeux s'intéressent toujours bien vivement aux yeux de la grande maitresse des cœurs. Je les ay quittez malades, et malheureusement il y a plus de douze ans que je les ai quittez en m'arrachant à ce châtau dans lequel il serait si doux de passer sa vie.

Je ne sçais si v. a. se prend quelque part à ce qu'on appelle les troubles de Geneve. Ces troubles sont fort pacifiques, les Genevois sont malades d'une indigestion de bonheur. Leurs petites querelles n'aboutissent qu'à de mauvaises brochures qu'eux seuls peuvent lire. Quand il s'élève quelque dispute en Allemagne elle est plus sérieuse; et il en coûte ordinairement deux ou trois cent mille hommes.

L'ambassadeur de France en Suisse arrive dans quelques jours à Geneve avec dix cuisiniers qui seront plénipotentiaires.

Je suis un peu plus intéressé au procès que M. le Duc de Virtemberg a aujourdui avec ses états. J'ignore quel en sera le résultat. Heureux les princes qui n'ont point à combattre leurs parlements et qui sont adorez de leurs sujets. Cela fait songer à la Turinge. Daignez madame agréer mes vœux et mon profond respect pour votre altesse sérénissime et pour toute l'auguste branche ernestine.