29e Juillet 1765, à Ferney
C'est une grande consolation, Monsieur, dans ma vieillesse infirme, de recevoir de vous le beau recueil dont vous m'avez honoré.
Vôtre présent est venu bien à propos; je peux encor lire dans les beaux jours de l'été. J'ai déjà lu vôtre traduction de Phèdre, et j'ai parcouru tout le reste que je vais lire très attentivement. Je suis toujours étonné de la facilité avec laquelle vous rendez vers pour vers une Tragédie tout entière. Vôtre stile est si naturel qu'un étranger qui n'aurait jamais entendu parler de la Phèdre de Racine, et qui aurait appris parfaittement l'italien et le français serait très embarassé à décider laquelle des deux pièces est l'original. Il faut vous avouer que les Français n'ont jamais eu de traductions pareilles en aucun genre. Cet avantage que vous possédez ne vient pas seulement de l'heureuse fléxibilité de la langue italienne, il est dû à vôtre génie.
Je trouve, Monsieur, que vôtre préface est une belle réponse aux ardéllions; elle doit vous faire aimer de vos inférieurs, et vous faire respecter de vos égaux.
J'ai entrevu par ce que vous dites sur Idomenée qu'en éffet vous aviez trop honoré un ouvrage qui ne méritait pas vos soins. Ce qui est méprisé chez nous ne doit pas être estimé en Italie.
Permettez que je joigne icy les éloges et les remerciements que je dois à Monsieur Agostini. Il me parait bien digne de vôtre amitié. Vous ne pouviez être mieux secondé dans la culture des beaux arts. On disait autrefois dans les temps d'ignorance, Bononia docet, on doit dire aujourd'hui, grâce à vous, dans le temps du goût et de l'esprit, Bononia placet.
Adieu, Monsieur, je ne peux mieux finir ma carrière qu'en regrettant de n'avoir pas eu l'honneur de vivre avec vous. Tant que je vivrai vous n'aurez point de partisan plus zèlé, ni d'ami plus véritable.
V.