Aux Délices 3e May 1764
Si j'avais de la santé et des yeux, mon cher Monsieur, je vous aurais répondu plutôt.
Si j'étais jeune je viendrais sûrement vous voir, vous embrasser, admirer vos talents, être témoin de la protection que vous donnez aux arts, et partager vos plaisirs; une si grande satisfaction n'est pas faitte pour la fin de ma vie. Je suis réduit à pouvoir à peine dicter une Lettre.
Oserais-je vous suplier de vouloir bien faire mes compliments à messieurs Fabri et Paradisi, à qui je dois autant de reconnaissance que d'estime? Je suis toujours étonné que vous aiez traduit la Tragédie d'Idoménée: il me semble qu'un bon peintre comme vous, ne doit copier que les ouvrages des Raphaëls. Il vous était aise de vous faire informer par Mr Goldoni si cet Idoménée est au rang des pièces qu'on représente, si ce n'est pas un très mauvais ouvrage, pardonnable à la jeunesse d'un auteur, qui depuis fit de meilleures choses. Enverité, il n'est pas permis au traducteur de Phèdre d'être celui d'Idomenée. Il vaudrait beaucoup mieux retrancher cette pièce de votre recueil, que de faire dire aux critiques que l'on a traduit également le bon et le mauvais. Pardonnez au vif intérêt que je prends à vous si je vous parle si librement.
Je vous ai déjà mandé, Monsieur, que je n'avais depuis longtemps aucune nouvelle de mr Goldoni, mais j'espère toujours que j'aurai le plaisir de le voir quand il reviendra en Italie. Je ne sçais s'il travaille pour nos comédiens italiens qui se sont unis à un opera comique, qui a, dit-on, beaucoup de succez; c'est un spectacle fort gai et fort amusant, mais qui consiste principalement en chansons et en danses; celà ne me parait pas du ressort de Mr Goldoni, dont le talent est de peindre les mœurs; cependant je me flatte toujours que son voiage lui sera utile et agréable. Un homme de la maison de la belle Laure, a fait des commentaires sur la vie de Pétrarque en deux énormes volumes in 4.. Je ne sais si vous les avez lus. Je serais bien plus curieux de lire les deux petits volumes que vous me promettez.
Adieu, Monsieur, toutes vos Lettres redoublent les sentiments de la tendre et respectueuse estime que vous m'avez inspirés pour vous.
V.