1763-03-31, de Voltaire [François Marie Arouet] à marchese Francesco Albergati Capacelli.

Je n'ai jamais été si fâché, Monsieur, d'être réduit à ne pouvoir écrire de ma main; je n'aime point à dicter, il semble que le cœur y perd toujours quelque chose.
Quelles obligations ne vous ai-je point? Vous m'embellissez, vous flattez à la foi mon goût, mon amitié, et mon amour propre.

Permettez moi de renouveller mes remerciements à mr Paradisi.

J'ai reçu, Monsieur, deux Lettres de vous, des 9e et 22e Mars. Dans la dernière vous m'ordonnez de répondre à ce que vous m'avez mandé touchant le père Pacciandi mais je n'ai jamais rien reçu de vous touchant ce religieux; je ne sçais qui il est; il faut que la Lettre où vous m'en parlez se soit perdue. Vous me faites rougir en me parlant de l'honneur que vous faites à Sémiramis conjoinctement avec mr l'abbé Fabri. Pourquoi n'ai-je ni la force de traverser les Alpes pour venir vous dire tout ce que vous m'inspirez, ni assez de génie pour vous le dire d'une manière digne de vous? Mais il faut que j'achève ma vie dans le petit païs où est mon établissement. Je viens d'y marier la descendante du grand Corneille, me voilà devenu père de famille. Ne pouvant marcher sur les traces de Corneille, je me suis fait son allié, pour me consoler de n'être pas son imitateur. Je reste dans ma solitude, et je ne regrête Paris qu'à cause de mr Goldoni.

Comptez toujours, Monsieur, sur les tendres et respectueux sentiments de vôtre très humble et très obéïssant serviteur

Voltaire