25 septbr [1764]
Je ne manque jamais de faire lire au petit prêtre les ordres célestes des anges; il a dévoré le dernier mandat et voicy comme il m'a parlé.
J'avais déjà travaillé conformément à leurs idées, de sorte que les derniers ordres ne sont arrivez qu'après l'exécution des premiers. On trouvera des prêtres plus savants, mais non de plus dociles.
J'ay fait tout ce qui était en mon pouvoir, et si je n'ay pas réussi, je suis un juste à qui la grâce a manqué.
J'ay ôté touttes les dissertations cornélienes qui anéantissaient l'intérest. Je respecte fort ce Corneille, mais on est sûr d'une lourde chutte quand on l'imite.
Il me parait qu'àprésent touttes les scènes sont nécessaires; et ce qui est nécessaire n'ennuie point.
Il paraît qu'on s'est trompé quand on a dit que la pièce manquait d'action. Il fallait dire que l'action était refroidie par les discours qu'Octave et Antoine tenaient sur l'amour, et sur le danger qu'ils ont couru.
L'action dans une tragédie ne consiste pas à agir sur le téâtre, mais à dire et à apprendre quelque chose de nouveau, à sortir d'un danger pour retomber dans un autre, à préparer un événement et à y mettre des obstacles. Je crois qu'il y a beaucoup de cette action téâtrale dans mon drame, de l'intérest, des caractères, de grands tableaux de la situation de la république Romaine, que le stile en est assez pur et assez vif, et qu'enfin tous les ordres de vos divins anges ayant été exécutez, je dois m'attendre à une réparation d'honneur si la pièce est bien jouée.
Je présume qu'il faut obtenir qu'on la représente à Fontainebleau, et que si elle y réussit, on sera sûr de Paris. Ce n'est pas la première fois qu'on a gagné un procez perdu en première instance, témoin Brutus, Oreste, Sémiramis.
Il n'est ny de l'intérest de le Kain, ny de celuy de l'autheur, ny de celuy des comédiens qu'on commence par imprimer, ce qui étant tombé à la représentation n'engagerait pas les lecteurs à jetter les eyux sur l'ouvrage.
Ainsi a parlé le jeune prêtre, et il a fini par chanter une antienne à l'honneur des anges.
J'ay commencé comme de raison par le tripot. Je passe aux dixmes.
Je n'ay point de termes, ny en prose ny en vers, pour exprimer ma reconnaissance. J'écriray donc à ce MrFoutete ou Fontete, car je n'ay pu bien lire son nom, et je compte toujours sur les bontez de M. le duc de Pralin.
Passons aux seigneurs Crammer. On a un peu gâté les génevois; ils n'ont pas daigné seulement faire prendre les armes à leur garnizon pour Mrs les ducs de Rendan, de la Trimouille et de Lorge, tandis qu'elle les prend pour un conseiller des 25 le quel en parlant au peuple assemblé l'appelle, mes souverains seigneurs. Ce pays cy est l'antipode du vôtre.
Tout ce que je peux vous dire des princes en question, c'est que quand j'arrivai ils n'avaient pas de chausses et qu'ils sont àprésent fort à leur aise.
Ils m'avaient toujours fait acroire qu'ils avaient écrit à un libraire de Florence pour me faire avoir les livres italiens nouvaux. M. de Lorenzi m'a mandé que ce libraire n'avait pas reçu de leurs nouvelles. C'est ce qui fait que j'ay si mal servi votre gazette littéraire.
Il n'y a pas, je crois, d'autre voye que celle de M. le duc de Pralin pour vous faire tenir le livre infernal. Je mettray sur votre enveloppe, mémoire aux anges, mais donnez moi vos ordres.