1765-07-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jeanne Grâce Bosc Du Bouchet, comtesse d'Argental.

Nous avons été confondus mes divins anges de votre lettre du 18 juillet.
Le paquet que le jeune homme vous avait envoyé, était adressé à Mr le duc de Prâlin, il contenait l'ouvrage de ce pauvre petit novice. J'y avais joint une grande lettre que je vous écrivais avec un mémoire pour Mr de Calone, accompagné de l'original de l'inféodation des dixmes de Ferney et de la preuve que ces dixmes ont toujours appartenu aux seigneurs. Tout cela formait un paquet considérable, et on croyait que Le nom de M. le duc de Pralin serait respecté. S'il n'avait été question que de l'ouvrage du jeune homme on n'aurait pas manqué de l'envoyer tout ouvert, ce paquet seul pouvant être pour luy comme pour vous, mais on avait par discrétion adressé le tout à votre nom pour ne pas abuser de celui de M. de Pralin jusqu'au point de le charger de mes mémoires pour le raporteur des dixmes de Geneve et des miennes. Nous n'avions abusé que de vos bontez. Ce sont nos précautions qui ont occasionné l'ouverture du paquet, et probablement aussi l'ouverture d'un autre que je vous adressai huit jours aprês. Ce dernier contenait des pièces essentielles sur le procez des Sirven que vous voulez bien protéger. Elles étaient pour m. Elie de Beaumont, qui vous fait quelquefois sa cour. Je ne doutais pas encor une fois que ces deux paquets à l'adresse de M. le duc de Pralin ne fussent en sûreté.

Je crains aujourduy que ceux de Mr de Calone ne soient perdus aussi bien que ceux de Mr de Beaumont.

J'ose vous supplier de m'informer de ce que ces paquets vous ont coûté. J'espère qu'on vous rendra votre déboursé. Je suis à vos pieds, et je rougis de tous les embarras que je vous cause, mais le papiers pour Mrs de Calone et de Beaumont sont si essentiels que je ne balance pas à vous supplier de vous faire informer s'ils ont été reçus. Il se peut que les commis de la poste ayant décacheté la première enveloppe et qu'ils aient envoyé les paquets à leurs addresses respectives. Il se peut aussi qu'ils ne l'aient pas fait et que tout soit perdu. En ce cas j'en serais pour mes dixmes, et Sirven pour son bien et pour sa roue. Pardonez à mon inquiètude et agréez la confiance que j'ay en vos bontez.

Cette avanture m'afflige d'autant plus qu'on m'aprend l'affaire désagréable que Beaumont essuie d'une grande partie de ses prétendus confrères et je ne sçais encore comment il s'en est tiré.

On me dit dans ce moment que L'infant est mort de la petite vérole naturelle après avoir sauvé son fils par l'artificiele. Je me flatte que cette mort funeste ne changera rien à votre état et que vous serez ministre du fils comme du père. Je suis si affligé et d'ailleurs si malade et si faible que je n'ay pas le courage de vous parler de votre jeune homme. J'avais une cinquantaine de corrections à vous faire tenir de sa part. Ce sera pour une autre occasion. Vous pouvez compter qu'il songera très sérieusement à tout ce que vous luy faittes l'honneur de luy dire. Il est aussi docile à vos avis que sensible à vos bontez.

Nous avons ce soir melle Clairon. J'aurai bien d'autres choses à vous communiquer, mais vous savez qu'on est privé de la consolation d'ouvrir son cœur.

Respect et tendresse.

V.