1767-02-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Les aveugles, mon cher ami, sont sujets à faire d'énormes méprises.
Lorsque le paquet contenant le mémoire des Sirven arriva, nous ne songeâmes pas seulement s'il était accompagné d'une lettre. Nous nous jetâmes dessus avec avidité. Il fut lu sur le champ, à haute et intelligible voix par m. de la Harpe. Nous pleurions tous; nous disions tous, Ce m. de Beaumont s'est surpassé, le mémoire des Sirven est bien supérieur au mémoire des Calas, le conseil du roi fondra en larmes. Aussitôt nous envoyons le mémoire aux Sirven pour le signer; ils le signent; le mémoire part à l'adresse de m. de Courteilles. Quand tout cela est fait, on lit votre lettre, on voit que le mémoire est de vous, qu'il n'est point juridique, que Sirven ne devait point le signer. Alors nous nous promettons le secret. Je vous écris un mot à la hâte; je vous dis que votre mémoire est chez m. de Courteilles. Si on ne vous l'a pas remis, courez vite chez lui, reprenez votre excellent ouvrage, et si vous voulez qu'il soit imprimé, renvoyez le moi, il fera un grand effet dans les pays étrangers; mais surtout que m. de Beaumont donne le sien. Il nous fait périr par ses lenteurs. Il y a six ans qu'une famille innocente gémit, et il y a deux ans que mr de Beaumont devrait avoir fini ses peines. Il ne sait donc pas combien la vie est courte. Bonsoir, mon très cher ami; mon corps et mes yeux vont bien mal mais aussi j'entre dans ma 74e année malgré la fausse date de mes estampes. Ecr. l'inf.