1765-03-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Que vous avez une belle âme! mon cher frère.
Au milieu des soins que vous vous donnez pour les Calas vous portez vôtre sensibilité sur les Sirven. Que n'avons nous à la tête du gouvernement des cœurs comme le vôtre! Par quel aveuglement funeste peut souffrir encor un monstre qui depuis quinze cent ans déchire le genre humain, et qui abrutit les hommes quand il ne les dévore pas!

Mr D'Argental doit recevoir dans quelques jours deux paquets de mort aux rats, qui pouront au moins donner la colique à l'infâme. Il doit partager la drogue avec vous.

Je crois qu'en éffet il ne sera pas mal de publier la Lettre qu'un certain V. vous a écrite sur les Calas et sur les Sirven. Celà poura préparer les esprits, et on verra ce qu'on poura faire avec Mr D'Argental. Mr le premier président de Toulouse est très bien disposé. Il s'agira de voir si Mr le vice-chancelier voudra qu'on ôte à ce parlement une affaire qui lui ressortit de plein droit. Les Sirven ont été condamnés à Castres; s'ils vont à Toulouse n'est-il pas à craindre que des juges irrités ne fassent rouer, pendre, brûler ces pauvres Sirven, pour se venger de l'affront que la famille Calas leur a fait essuier? Je ferai un mémoire que je vous enverrai, mais ces Sirven sont bien moins instruits des procédures faittes contre eux que ne l'étaient les Calas. Ils ne savent rien, sinon qu'ils ont été condamnés, et qu'ils ont perdu tout leur bien. D'ailleurs, n'étant jugés que par contumace, je ne vois pas comment on pourait faire pour les soustraire à leurs juges naturels.

Le procédé de Mr de Beaumont m'inspire de la vénération. Son nom d'Elie me fait soupçonner qu'il n'est pas d'une famille papiste, et la générosité de son âme me persuade qu'il est un de nos frères. Laisson d'ailleurs juger les Calas, ne troublons pas actuellement leur triomphe par une nouvelle guerre. Je me flatte bien que vous m'aprendrez le plein succez auquel je m'attends. On verra immédiatement après ce qu'on poura faire pour les Sirven. Ce sera une belle époque pour la philosophie qu'elle seule ait secouru ceux qui expiraient sous le glaive du fanatisme. Remarquez, mon cher frère, qu'il n'y a pas eu un seul prêtre qui ait aidé les Calas, car Dieu mercy l'abbé Mignot n'est pas prêtre.

Voulez vous bien faire parvenir le petit billet cy joint à la veuve Calas?

Adieu, mon cher frère, vous êtes un homme selon mon cœur; vôtre zèle est égal à vôtre raison. Je hais les tièdes.

Qu'est-ce, je vous prie, que le Pirrhonien raisonable du marquis D'Autré, qui croit prouver géométriquement le péché originel? Ecr. l'inf., Ecr: L'inf: vous dis-je. Je vous embrasse de toutes mes pauvres forces.