23e Mars 1765
Mon cher frère, voicy les ordres que le Dieu d'Epidaure signifie à vos amigdales.
Portez vous bien, et jouïssez de la force d'Hercule pour écraser l'hydre. Je suis affligé de n'avoir point encore appris que le Roi ait honoré d'une pension l'innocence des Calas.
Vous devez avoir reçu le mémoire des Sirven. Rien n'est plus clair; leur innocence est plus palpable que celle des Calas. Il y avait dumoins contre les Calas des sujets de soupçon, puisque le cadavre du fils avait été trouvé dans la maison paternelle, et que le père et la mère avaient nié d'abord que ce malheureux se fût pendu, mais icy, on ne trouve pas le plus léger indice. Que d'horreurs, juste ciel! On enlève une fille à son père et à sa mère, on la fouette, on la met en sang pour la faire catholique, elle se jette dans un puits, et son père, sa mère et ses sœurs sont condamnés au dernier suplice! On est honteux, et on gémit d'être homme quand on voit que d'un côté on joue l'opéra comique, et que de l'autre le fanatisme arme les boureaux. Je suis à l'extrémité de la France, mais je suis encor trop près de tant d'abominations.
Est-il vrai qu'Helvétius est parti pour la Prusse? Dumoins ne brûlera t-on pas ses livres dans ce païs là.
La destruction est elle enfin entre les mains du public? A bon entendeur salut, doit être la devise de ce petit livre. Je doute que le Pirrhonien raisonnable fasse une grande fortune, quoique l'auteur ait beaucoup d'esprit.
Il y a une petite brochure contre Racine et Boileau, qui ne peut être faitte que par un sot, ou du moins par un homme sans goût; et cependant je voudrais bien l'avoir.
Je ne sçais ce que c'est que l'homme de la campagne. Il y a dans Genêve des Lettres de la campagne, auxquelles Jean Jaques a répondu par des lettres de la montagne. C'est un procez qui n'est intéressant que pour des genevois. Pour l'homme de la campagne si c'est une satire contre ceux qui se sont retirés du monde la satire a tort; les ridicules et les crimes ne sont que dans les villes.
Adieu, mon cher frère, Ecr: l'inf: