à Ferney 22 juillet [1766]
Madame,
C'en est trop; votre générosité est trop grande; mais il faut avouer que votre altesse sérénissime ne pouvait mieux placer ses bienfaits que sur cette famille infortunée.
Il n'en a presque rien coûté pour l'opprimer, pour luy ravir les aliments, et pour faire expirer la vertueuse mère, presque dans mes bras; et il en coûte de très fortes sommes avant qu'on se soit mis seulement en état de lui faire obtenir une ombre de justice. On fait même mille chicanes au généreux de Beaumont pour l'empêcher de publier L'excellent mémoire qu'il a composé en faveur de l'innocence. On persécute à la fois par le fer, par la corde et par les flammes la relligion et la philosophie. Cinq jeunes gens ont été condamnez au bûcher pour n'avoir pas ôté leur chapeau, en voyant passer une procession à trente pas. Est il possible madame, qu'une nation qui passe pour si gaye et si polie soit en effet si barbare? L'Allemagne n'a jamais vu de pareilles horreurs, elle sait conserver sa liberté, et respecter l'humanité. Notre relligion est prêchée en France par des boureaux. Que ne pui-je venir achever à vos pieds le peu de jours qui me restent à vivre, loin d'une si indigne patrie?
C'est moy qui suis le trésorier de ces pauvres Sirven. On peut tout m'envoyer pour eux. Que votre âme est belle! madame, qu'elle me console de touttes les abominations dont je suis témoin! Mon cœur est pénétré de la bonté du vôtre. Daignez agréer mon admiration, mon attachement, mon respect pour vos altesses sérénissimes. Je n'oublierai jamais la gr. maîtresse des cœurs.