1764-06-05, de Jean Pierre Crommelin à Pierre Lullin.

Monsieur,

J'ai bien reçu votre paquet du 28 May, et vais tout à l'heure partir pour Versailles, présenter à Mr de Praslin la réponse que vous m'avés envoié.
J'avois, pour gagner du temps, déjà fait copier le précis en colonne, et je n'ai eu qu'à mettre vos remarques dans l'autre. Je n'y ai pas changé un mot, quelque liberté que vous me donnassiés à cet égard, étant vraiment persuadé de la supériorité des lumières du Conseil. Peut être cependant aurois je pensé qu'on pouvoit rendre cette réponse encor plus complette, mais je sais bien plus sûrement qu'on gâte un ouvrage, quand on y touche d'une main étrangère.

Suivant les ordres du Conseil, j'ai depuis long tems consulté Mr Mariette, il meurt d'envie d'imprimer un petit Mémoire pour l'instruction des Juges, et me presse de l'aider dans ce travail, mais je ne ferai rien là dessus sans ordre. Si le Conseil le juge à propos, je lui remettrai, et le précis et votre réponse, pour qu'il ait de bons matériaux, mais je ne crois pas convenable que ce Mémoire soit avoué par moi, pour réserver à la Cause de la République sa supériorité, et ne la pas faire marcher si collatéralement avec celle de Made Denis, à cause de cet Arrêt de 1671 et des transactions particulières, par les quelles des Auteurs peuvent avoir altéré leur droit.

Je ne doute pas que la recommandation de Berne, dans ce moment où l'on est si content d'eux, ne produise un bon effet. Je verrai ce que Mr de Praslin me dira de l'affaire des Postes, sur la quelle il ne m'a rien fait dire. Il n'y eut point Audience Mardi, par une équivoque. Tout le monde fut à Versailles, où le Roi étoit, nous avions reçu un billet pour y aler, et Mr de Praslin étoit à une Assemblée des Chambres avec les Pairs.

Je vous aprend, Monsieur, qu'hier l'affaire des Calas fut raportée, après avoir occupé douze ou quinze bureaux. Il n'y eut pas un suffrage pour confirmer l'Arrêt, qui fut cassé, l'avis de la revision eut beaucoup de voix. L'on ne sait encor à quel Tribunal elle sera renvoiée, mais elle est toute décidée, et cela ne touchera pas terre. Il y a long tems que j'ai certitude que ce malheureux a été condamné, sans qu'il y eût, ni un témoin de visu, ni deux témoins sur un même fait, ni un indice qui fit présomption pour une téte pensante. C'est la procédure qui condamne les Juges, aussi l'indignation est universelle.

J'ai la satisfaction d'avoir été de quelqu'utilité à cette pauvre Veuve, ayant été ici son principal Conseil, l'ayant soutenue et dirigée, et concerté toute la défense avec ses Avocats. Mais, j'avoue que je n'avois pas été crédule, et qu'avant de rien faire pour elle, j'avois recherché tout ce qui pouvoit la condamner, avec le plus grand soin, et ce n'est qu'après que l'affaire a été portée dans mon esprit au point de la démonstration, que j'ai consenti à m'en mêler. J'ai cru encor qu'il étoit du premier intérêt pour tous les Protestans de France, et de la réputation de tous, qu'un tel Jugement ne passât pas sans réclamation. J'ai l'honneur d'être

Monsieur

Votre très humble et très obéissant serviteur

Crommelin