1764-03-22, de Jean Pierre Crommelin à Pierre Lullin.

Monsieur,

J'ai reçu votre lettre du 14, et ayant fait lecture à S. E. des lettres d'Henri 4 et Louis 13 elle me les a demandé, et comme je n'en avois à faire que pour cela, je les lui ai remises sur le champ.
J'aurois désiré que vous m'eussiés dit ce que demandoit ce Propiau.

J'attend le Mémoire que vous m'annoncés, mais je vais mettre le Conseil au fait de l'état des choses, auquel il n'y a pas eu de changement depuis mes précédentes.

Je le prie d'abord de se rapeler que ce n'est que sur ses ordres réitérés que j'ai lié l'affaire de Mr de Voltaire à celle de la République. Ma précédente vous a fait voir que cependant je n'avois rien signé, en sorte que j'avois laissé les choses au point de ne pouvoir pas recevoir de dommage de notre intervention, qui, par le fait, n'a étê qu'une recommandation.

Réfléchissant avant hier matin sur cela, en prenant mon caffé, avant d'aler chés Mr de Praslin, je crus avoir trouvé un moien de tout arranger, et je le proposai tout de suite à ce Ministre. Laissons, lui dis je, dormir un moment l'affaire de Mr de Voltaire, que V. E. ait la bonté de raporter au Conseil notre affaire de Moens, la chose est simple, il n'y a point de procédure commencée, ni d'instance liée que devant vous, les Mrs Gilbert et Daguesseau n'ont rien à dire sur la forme, l'affaire de la République ne touchera pas terre, l'on jugera comme l'on a fait depuis 200 ans.

Cela fait, que Mr de St Florentin raporte tant qu'il voudra celle de Mr de Voltaire, elle se trouvera toute jugée, sans qu'il soit possible de prononcer au même Tribunal différemment.

Mr de Praslin me répondit, vous ne gagnerés rien, l'on évoquera, le Curé formera opposition à l'Arrêt d'évocation, comme celui de Fernex a fait, et vous voilà au même point, pour quoi séparer deux affaires qui sont semblables? Vous pensés bien, Monsieur, que je fis entendre que par mon expédient, j'écartois toutes les épines que Mrs les Consers d'état avoient pris dans la procédure commencée par Made Denis, et fixois le raport en la personne de Mr de Praslin, il ne voulut jamais m'entendre.

Je me rapele très bien que, dès le commencement, il me dit, l'affaire de Mr de Voltaire est la même que celle de la République, il faut lier tout cela, car le Roi ne peut pas s'occuper à rendre autant d'Arrêts qu'il y aura de demandes sur la même affaire, ainsi je puis dire au Conseil que, quand il n'auroit pas pris le parti de les unir, le Ministre nous y auroit amenés. Aussi, je n'ai jamais pu le faire sortir de sa réponse, quoique, si je ne me préviens pas en faveur de l'idée qui m'étoit venu, et que je trouvois heureuse, il me sembloit qu'elle levoit toutes les difficultés.

S. E. m'a dit, qu'au besoin, il feroit nommer un Me des Requêtes, j'ai répliqué par toutes les raisons de votre lettre, il a commencé à prendre l'argument de Mr Gilbert, que le Roi avoit bien le choix des personnes par qui il jugeoit bon de faire examiner une affaire, c'est alors que j'ai tiré de ma poche les copies que vous m'aviés envoié, pour faire diversion, et ne lui pas laisser finir le propos, et la conversation s'est terminée par ces mots, Dès que ma goutte me permettra de vaquer aux affaires, je me ferai rendre compte de l'état où est celle de Made Denis, je sais qu'on y travaille, je conférerai avec Mrs Gilbert et Daguesseau sur ce qu'on peut faire de votre idée, et nous verrons à raporter cette affaire.

Vous voiés, Monsieur, qu'il ne dépendra pas tout à fait de nous de la diriger précisément comme nous le souhaiterions, mais le même principe qui conduit le Ministre est favorable à la cause publique. Je prévoiois bien tout ceci, mais le Conseil peut voir que, sur quelque espèce de proposition ou insinuation que l'on me fasse, j'évite de répondre, jusqu'à ce que je connoisse sa façon de penser, je la connois par votre dernière, sur les objets qu'elle renferme, mais le détail ci dessus vous doit persuader que nous n'en serons pas les Maitres.

Mr de Praslin étoit vraiment malade, il recevoit tout le monde sur une chaise longue, outre la goutte, sa poitrine étoit fatiguée au dernier point. Il n'y avoit pas besoin de cela pour arréter les affaires. Made de Pompadour semble un peu mieux, reste à savoir si sa poitrine est attaquée. J'ai l'honneur d'être

Monsieur

Votre très humble et très obéissant serviteur

Crommelin