7e Janv: 1763, à Ferney
Je voudrais sans doute, Monsieur, voir un homme de vôtre mérité, et quitter mes neiges pour les vôtres, ou bien avoir le bonheur de vous voir quitter les vôtres pour les miennes; mais vous êtes attaché à la dotta é grassa Bologna, et moi je ne peux à l'âge de près de soixante et dix ans, passer le mont Cenis pendant L'hiver.
Je suis dans mon lit depuis les premiers froids; ma consolation est de lire nôtre cher Goldoni, et de m'amuser à des ouvrages qui ne valent pas les siens. Je suis obligé de dicter toujours, je ne peux écrire; voilà pourquoi j'ai tardé si longtemps à vous dire, Monsieur, combien je suis sensible à vos offres obligentes, et quel est mon regrêt de ne pouvoir les accepter.
Je compte, dans quelque temps avoir L'honneur de vous faire un petit envoi; mais ce ne sera, je crois, que dans le mois de Mars; j'ai été si malade, si faible, si paresseux que je n'ai pu écrire depuis longtemps à Mr Goldoni. D'ailleurs, que lui mander du fon de ma retraitte? Il m'a mandé qu'il serait longtemps à Paris. Je ne doute pas que ses ouvrages ne lui fassent des admirateurs, et son caractère des amis; la paix, le concours des étrangers, le nombre de ceux qui seront touchés de son mérite, lui pouront être utiles. C'est ce que je lui souhaitte passionément.
Pour vous, Monsieur, je ne vous souhaitte que la continuation de vôtre félicité; vous avez tout le reste. On ne peut être plus pénétré que je suis de tout ce que vous valez, et de l'amitié dont vous m'honorez. Comptez, je vous en conjure, sur mon très tendre attachement pour le temps qui me reste à vivre.