25e auguste 1762, aux Délices
Le caro Goldoni, le figlio della natura, veut donc, Monsieur, me laisser mourir, sans me donner la consolation de le voir.
Il m'a écrit de Lyon, qu'il n'avait pu passer chez moi, parce qu'il a sa femme; mais certainement je ne lui aurais pas pris sa femme, et je les aurais reçus tout deux avec autant d'empressement qu'il le sera par tout ailleurs. Il m'a mandé que de Lyon il allait à Paris, mais il ne m'a point donné d'adresse, ainsi je ne sçais où lui répondre.
Je suis tout à fait angustiato. Vous m'étonnez, Monsieur, de m'aprendre que vous voulez ressusciter en Italie la Tragédie d'Idoménée, qui est morte à Paris dès sa naissance, il y a quelque soixante ans. C'est un des plus insipides ouvrages qu'on ait jamais donnés au Théâtre, et aussi mal écrit que mal conduit. Assurément Phèdre et Polyeucte seraient bien étonnés de se trouver en pareille compagnie. Non, vous ne serez pas comme ceux qui tiennent table ouverte et qui reçoivent également les gens aimables et les importuns.
Dieu a béni vôtre théâtre, et n'a pas accordé au mien beaucoup de faveur cette année. J'ai été si malade qu'il m'a fallu quitter le château de Ferney pour aller aux Délices près de Genêve, et pour être longtemps entre les mains des médecins. Pendant ce temps là vous donniez de belles fêtes, et il vous est plus aisé de trouver des acteurs à Bologne qu'à moi d'en trouver à Genêve. Bologna la dotta vaut mieux que Genêve la pédante, où il n'y a que des prédicans, des marchands et des truittes; je ne m'accommode pas tout à fait de celà, moi qui aime mieux une bonne Tragédie qu'un sermon. Ce que nous avons de plus agréable dans ce pais cy, c'est que nous sommes instruits les premiers de toutes les sottises sanguinaires qui se passent dans le nord. Nous sommes tout juste entre la France, L'Allemagne et L'Italie, et on ne tue personne vers Dresde, que nous ne le sçachions les premiers; avec tout cela j'aimerais beaucoup mieux avoir bâti un château vers Bologna que vers les allobroges, et être vôtre voisin que celui des Savoyards; mais Dieu n'a pas voulu que je visse la belle Italie. Il faut que je vive et que je meure où je suis. J'y vivrai, et j'y mourrai plein d'estime et de respect pour vous.
V.