aux Délices 25 may 1762
Monsieur,
Une maladie dangereuse dont je ne suis pas encor rétabli a retardé de quelques jours les remerciments que je dois à votre Excellence au nom de melle Corneille et au mien.
Ce que vous faites pour la mémoire d'un grand homme et pour l'héritière de son nom, est bien digne de votre caractère. Je reconnais la noblesse de vos sentiments, et la protection dont vous avez toujours honoré la littérature. Ce que votre Excellence fait de si loin pour l'honneur de nos arts, est d'autant plus beau que vous devez àprésent estre chargé du fardeau des plus grandes occupations. Il est bien rare qu'un ministre au milieu du torrent des affaires conserve du goust pour les lettres et encor plus rare qu'il leur fasse du bien. En vérité vous êtes dans votre genre ce que Corneille était dans le sien.
Si j'osais monsieur présenter mes profonds respects à sa majesté et à la famille roiale je prendrais la liberté de vous supplier de vouloir bien me mettre à leurs pieds.
Nous ne sommes encor qu'au commencement du troisième volume; il y en aura peutêtre douze ou treize, et l'ouvrage ne poura paraitre que dans un an quelque diligence qu'on fasse. C'est un véritable chagrin pour moy de ne pouvoir vous le présenter moy même, et vous renouveller de vive voix l'estime infinie, la reconnaissance et le respect avec les quels j'ay l'honneur d'être
Monsieur
de votre Excellence
le très humble et très obéissant serviteur
Voltaire