au Châtau de Ferney 18 august 1761
Monsieur,
Le jeune homme qui m'a apporté la lettre de votre Excellence du 28 février a été reçu comme le seront toujours ceux que vous voudrez bien m'adresser.
Il est venu au châtau de Ferney avec l'aimable mr de Soltikof. Je crois voir mes compatriotes quand je vois quelqu'un de votre cour. Je m'occupe d'un Pierre qui a aussi le nom de grand en attendant que je puisse travailler au plus grand des Pierres. Je m'amuse avec les tragédies de Pierre Corneille, le premier des Français qui a sçu donner de la majesté à notre langue. L'ouvrage que je compose de concert avec L'académie française, et qui va bientôt paraitre au jour, doit être utile à tous les étrangers qui apprennent notre langue par règles, et à la plus part des Français qui ne la savent que parce qu'ils ont eu des nourrices françaises.
Le Roy de France et plusieurs autres princes souverains encouragent cette entreprise. Sa majesté a souscrit pour quatre cent louis d'or. Chaque particulier paye un exemplaire deux louis. L'exemplaire sera composé de six à sept beaux volumes in 4., dont chacun vaut au moins quatre louis. Il n'y aura d'avantages pour mademoiselle Corneille que dans la générosité des têtes couronnées et des grands seigneurs qui souscrivent pour plusieurs exemplaires à la fois. On ne demande d'argent par avance à personne. Les souscripteurs n'en donneront qu'en recevant le livre. J'ay cru qu'en qualité d'entrepreneur de cet ouvrage et de père adoptif de mademoiselle Corneille, il me convenait de souscrire pour cent exemplaires pour subvenir aux premiers frais. J'ay cru monsieur que je devais surtout mettre votre excellence au fait de cette entreprise. Elle ne retardera pas celle de la vie de Pierre le grand et je travailleray pour vous avec encor plus de zèle. L'envie de mériter votre suffrage me donnera des forces mais elles n'égaleront pas les sentiments tendres et respectueux avec les quels je serai toujours
de votre Excellence
le très humble et très obéissant serviteur
Voltaire