1762-03-29, de François Thomas Marie de Baculard d'Arnaud à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur, je vous ai aimé comme mon père, et je vous ai admiré comme un grand homme; j'ai cru avoir à me plaindre du premier, il me fut bien cher, mais le grand homme m'est toujours prétieux, c'est à lui que j'ai l'honneur d'envoier un poëme dont le sentiment fait tout le mérite; il est d'un citoyen qui désireroit pour éterniser son âme, s'élever à cet art enchanteur, dont vous possédés seul l'heureuse magie.
Il y a longtemps que vous devez être convaincu de ma vénération décidée pour vos talents. Vous avez cependant eu la foiblesse, vous qui vous élevez avec tant de force contre la calomnie de céder aux impostures absurdes et grossières de quelques écrivains obscurs qui se sont efforcés de me défigurer à vos yeux, vous m'avez condamné sur la foi de ces messieurs et même vous leur avez écrit sur mon compte des choses très mortifiantes pour moi, et d'autant plus cruelles que je ne les mérite point. Si vous eussiez daigné jetter les yeux sur mon poëme de la France sauvée vous auriez vû que malgré notre refroidissement, l'écolier est toujours juste, et qu'il goûte toujours un nouveau plaisir à rendre hommage à son maître. Si vous me faisiez le tort d'en douter, je pourrois vous en donner des témoins plus faits pour être crus d'un homme comme vous et d'une trempe plus noble que celle de ces reptiles qui s'enorgueillissent de vos politesses et qui ont la bêtise de les prendre pour des suffrages. Si le métier de délateur n'étoit pas au-dessous de tout être qui pense, je vous apprendrois des choses qui vous feroient regretter d'avoir pu prostituer votre plume à répondre à de telles espèces, mais je ne suis pas fait pour récriminer; je ne veux que vous assûrer des sentimens éternels d'estime et d'admiration avec lesquels je serai toute ma vie, etc.