aux Délices 1er juin [1758]
Monsieur,
Les lettres que je peux avoir écrit à mr de S'gravesand ne méritent certainement pas de voir le jour, mais puis qu'elles ne sont que des témoignages de l'estime et de la confiance qu'il méritait, je ne peux qu'aprouver l'usage que vous en faittes.
On m'aprend que ce Prosper Marchand dont vous avez daigné étre L'éditeur était un ancien libraire qui écrivait plus mal qu'il n'imprimait. Je n'ay jamais entendu parler de cet homme qu'à l'occasion des injures grossières dont on dit qu'il m'affuble dans ses œuvres posthumes. Je ne doute pas que les devoirs d'honnête homme n'ayent prévalu dans vous sur les devoirs d'exécuteur testamentaire d'un tel écrivain. Il se peut faire que cet homme se fût appliqué en son vivant ce que j'ay dit plusieurs fois de nos français réfugiez qui ont inondé l'Europe de libelles et qui ont vendu des calomnies à tant la feuille. Quand un homme vous fait imprimer les ouvrages d'un pareil auteur ce n'est sans doute que pour les rectifier. Je vous dois les plus tendres remerciments, de la bonté que vous avez de donner Le contrepoison du venin de Mr Prosper dont Dieu veuille avoir L'âme.
Il est vrai Monsieur que je me suis fait les deux plus jolies habitations du monde, l'une auprès de Geneve, l'autre à Lausane; il est encor plus vray que je voudrais avoir l'honneur de vous y posséder. J'y étais venu pr ma santé, j'y reste pour mon plaisir. J'aurais de la peine à trouver ailleurs quelque chose de plus agréable. Soit que j'y achève ou non ma petite et obscure carrière je seray toujours Monsieur avec tous les sentiments que je vous dois
votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire