1773-06-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Le Rond d'Alembert.

L’œuvre posthume de ce pauvre Helvetius, ou plutôt de ce riche Helvetius est elle, ou est il parvenu jusqu’à vous, mon très cher philosophe?
Mr le prince Galitzin qui en est l’éditeur, veut le dédier à la sublime Catau. Il est bon de la mettre en commerce avec les morts; car elle ne répond point aux vivants. Je m’imagine que les impératrices n’aiment pas plus les conseils que les généraux d’armée et les gouverneurs de province ne les aiment.

Dulcis inexpertis cultura potentis amici.

Quoi qu’il en soit, on sera fort étonné si on lit ce livre de voir le papisme traité de religion abominable qui ne peut se soutenir que par des bourreaux, le despotisme traité à peu près comme le papisme, et le tout dédié à la puissance la plus despotique qui soit sur la terre.

Je ne sais plus comment faire pour vous envoyer de ces petits recueils dont le principal mérite est dans le dialogue de René et de Christine. Les commis à la douane des pensées sont impitoyables.

Ne m’oubliez pas je vous en prie auprès de l’éloquent mr Thomas, que je préfère sans contredit à Thomas d’Acquin, et surtout à Thomas Dydime, come je vous préfère à tous les charlatans qui réussissent dans les cours, et qui même réussissent pour un temps auprès d’un public ignorant et sans goût.

Adieu, mon cher philosophe, consolons nous tous deux du siècle.

V.