25 février [1762]
Non cela n'est pas vray avec le respect que je vous dois.
Vous n'avez point lu Cassandre. Vous avez lu monsieur le marq: une esquisse de Cassandre, à la quelle il manque cent coups de pinceau et dont quelques figures sont estropiées. Dieu seul peut créer le monde en six jours, mais moy je n'ay pu créer que le cahos. Ce n'est pas sans peine que je crois enfin l'avoir débrouillé. Cassandre et Olimpie n'intéressaient pas assez, et touttes les critiques qu'on peut faire n'approchent pas de celle là. C'est l'intérest de ces deux amants qui doit être le pivot de la pièce, sans préjudice de de vingt autres détails. La première chose qu'il faut faire est donc que mr Dargental ait la bonté de me renvoier l'original sur le quel on recollera proprement une soixantaine de vers absolument nécessaires. Ensuitte melle Clairon verra peutêtre que le rôle d'Olimpie est plus intéressant que celuy d'Electre qu'elle a joué quand Melle Dumeni a joué Clitemnestre.
Au reste j'ay très peu d'empressement pour donner cette pièce au téâtre. Nous allons la jouer à Ferney. Il est juste que je travaille un peu pour mon plaisir et pour celuy de made Denis. Si je livrais cette pièce aux comédiens je ne voudrais pas leur abandonner la part d'autheur comme j'ay fait dans les pièces précédentes. Je voudrais que cette part fût pr melle Clairon, melle Dumenil et le Kain. Mais nous n'en sommes pas là. Il faudrait que je fusse à Paris pour diriger cette pièce qui est toutte d'appareil et de spectacle, et qui d'ailleurs n'est guères du ton ordinaire. Le ridicule est fort à craindre dans tout ce qui est hazardé. Mais il est impossible que j'aille à Paris. Ny mon goust ny mon âge ny ma santé ny Corneille ne le permettent. Je me vois avec douleur privé de la consolation de vous revoir, car vous ne quitterez point le téâtre de Paris pour celuy de Ferney. Conservez moy vos bontez et soyez sûr que j'en sens tout le prix.
V.