1762-02-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Le Rond d'Alembert.

Mon cher universel, vous avez le nez fin et c'est pour cela que j'ay voulu que vous lussiez icelle.
Mais après avoir mandé à made de Fontaine de vous donner cette corvée, je luy manday de n'en rien faire, attendu que j'ay le nez fin aussi, et que je m'étais très bien apperçu que Cassandre et Olimpie ne remuaient pas comme ils doivent remuer. J'avais, dieu et le duc de Villars m'en sont témoins, j'avais broché en six jours cette besogne. Il n'appartient qu'au dieu de Moyse de créer en six jours un monde. J'avais fait le cahos. J'ay débrouillé baucoup et voylà pourquoy je ne voulais plus que vous vissiez mon ours avant que je l'eusse léché. Touttes vos critiques me paraissent assez justes. Ce n'est pas peu pour un autheur d'en convenir. Il n'y en a qu'une qui me parait mauvaise. Vous voulez qu'un homme qui est à la porte d'une églize interrompe une cérémonie qu'on fait dans le sanctuaire et à la quelle il n'a nul droit, nul prétexte de s'opposer. On voit bien que vous n'allez jamais à la messe. Je suppose que vous vissiez Fréron et Chaumey etc. communier à Notre Dame. Iriez vous leur donner des coups de bâton à l'autel? n'attendriez vous pas qu'ils allassent de l'églize au bordel? Vous ne savez pas combien les cérémonies de l'églize sont respectables. Il y a encor d'autres remarques sur les quelles je pourais disputer, mais le grand point est d'intéresser. Tout le reste vient ensuitte.

J'ay choisi ce sujet moins pour faire une tragédie que pour faire un livre de notes à la fin de la pièce, notes sur les mistères, sur la conformité des expiations anciennes et des nôtres, sur les devoirs des prêtres, sur l'unité d'un dieu prêchée dans tous les mistères, sur Alexandre et ses consorts, sur le suicide, sur les bûchers où les femmes se jettaient dans la moitié de l'Asie. Cela m'a paru curieux, et susceptible d'une hardiesse honnête. Mélier est curieux aussi. Il part un exemplaire pour vous. Le bon grain était étouffé dans l'ivroye de son infolio. Un bon Suisse a fait l'extrait très fidèlement, et cet extrait peut faire beaucoup de bien. Quelle réponse aux insolents fanatiques qui traittent les sages de libertins! quelle réponse (misérables que vous êtes) que le testament d'un prêtre qui demande pardon à dieu d'avoir été crétien! Le livre de mords les sur l'inquisition me met toujours en fureur. Si j'étais Candide un inquisiteur ne mourrait que de ma main.

Melle Corneille est bien élevée. Il faut remercier dieu d'avoir arraché cette âme à l'horreur d'un couvent!

Je fais un peu de bien dans la mission que le ciel m'a confiée. O mes frères travaillez sans relâche, semez le bon grain, profitez du temps, pendant que nos ennemis s'égorgent.

Made Denis est très contente de votre musique.

Quoy, Mélier en mourant aura dit ce qu'il pense de Jesu! et je ne dirai pas la vérité sur vingt détestables pièces de Pierre! et sur les défauts sensibles des bonnes! Oh par dieu je parlerai. Le bon goust est préférable au préjugé. Salva reverentia.

Ecrasez l'infâme je vous en conjure.