1761-02-02, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Je réïtère à Mr D'Amilaville, & à Mr Thiriot mes sincères remerciements de la bonté qu'ils ont de publier ma déclaration sur mes Lettres et sur celles de made Denis, imprimées à Paris sous le nom de Genêve.
Il m'est très important que Genêve qui n'est qu'à une lieüe de mon séjour ne passe point pour un magazin clandestin d'éditions furtives. Je leur ai très grande obligation de vouloir bien détruire ce soupçon injuste qui n'est déjà que trop répandu.

Je les suplie aussi très instamment de ne rien changer à ma déclaration; l'article du culte et des devoirs de la réligion est éssentiel; je dois parler de ces devoirs, parce que je les remplis, & que surtout, j'en dois l'éxemple à mlle Corneille que j'élêve. Il ne faut pas qu'après les calomnies punissables de Fréron, on puisse soupçonner que made Denis et moi nous aions fait venir l'héritière du nom de Corneille aux portes de Genêve pour ne pas professer hautement la religion du roy et du royaume. On a substitué à cet article nécessaire, que je m'occupe de ce qui intéresse mes amis. On doit concevoir combien cela est déplacé; pour ne rien dire de plus. Je ne dois point compte au public de ce qui intéresse mes amis, mais je lui dois compte de la religion de mlle Corneille.

J'insiste avec la même chaleur sur le changement qu'on veut faire dans ce que je dis de l'ode de mr Lebrun. Je dis, qu'il y a dans son ode des strophes admirables, et celà est vrai. Les trois dernières strophes, surtout, me paraissent aussi sublimes que touchantes; et j'avoüe qu'elles me déterminèrent sur le champ à me charger de mlle Corneille, et à l'élever comme ma fille. Ces trois dernières strophes me paraissent admirables, je le répête. Vous voulez mettre à la place sentiments admirables, mais un sentiment de compassion n'est point admirable; ce sont ces strophes qui le sont. Je demande en grâce qu'on imprime ce que j'ai dit, et non pas ce qu'on croit que j'ai dû dire. Je sçais bien qu'il y a des longueurs dans l'ode, et des expressions hazardées. Le partage de mr Le Brun est de rendre son ode parfaitte en la corrigeant; et le mien de loüer ce que j'y trouve de parfait.

Observez, je vous prie, mes chers amis, que mr Le Brun trouverait très mauvais que je me bornasse à faire l'éloge de ses sentiments, quand je lui dois celui des beautés réelles qui sont dans son ode. Observez qu'il doit se donner les plus grands mouvements pour faire attaquer criminellement Fréron par le bon homme Corneille, & qu'il ne faut pas le refroidir.

J'ai envoyé à mr Le Brun le certificat de made Denis, et celui du Résident de France à Genêve. Ces deux pièces démontrent que l'Ecluse depuis six mois n'a point mis les pieds chez moi; que je ne donne point mlle Corneille à élever à un batteleur de la foire; et que Mr Corneille le père, madlle Corneille, made Denis et le sr L'Ecluse lui même, sont en droit de demander la punition d'un calomniateur, qui sous prétexte de parler des fadaises de la presse, insulte des familles entières et des personnes qui ont l'honneur d'être du corps de la noblesse. Il est très certain que mlle Corneille ne trouverait pas à se marier si cet outrage restait impuni.

Je Renvoye à mes deux amis l'épître d'Abraham Chaumeix à mlle Clairon telle que je l'ai reçue de Paris. Mr Thiriot peut se donner le plaisir de porter ces étrennes à Melpomène. Mon correspondt de Paris a mis l'abbé Guion en notte, d'autres prétendent qu'il fallait un autre nom; que m'importe!

Valete.

Mr Tiriot ne se dessaisira pas du pantaedai.