1761-02-02, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jeanne Grâce Bosc Du Bouchet, comtesse d'Argental.

Anges de paix, mais anges de justice, voicy le pantaedai du sr Abraham Chaumeix tel qu'on me l'a envoïé de Paris; je l'ai fait copier fidèlement.
Je ne connais point le petit singe à face de Tersite; mais si cet homme est tel qu'on me le mande il mérite l'éxécration publique, et je ne connais personne qui doive craindre de démasquer un personnage si ridicule et si odieux. Quand on joint les mensonges de Sinon au stile de Zoïle, à l'impudence de Tersite, et à la figure de Ragotin, on doit s'attendre de recevoir en public le châtiment qu'on mérite; et ceux qui n'ont pas la force en main pour se vanger font très bien de payer les Tersites et les Zoïles dans leur propre monnoye. Se reconnaîtra qui voudra dans cette fidèle peinture, on n'en craint point les conséquences; on est bien aise même que Tersite sache à quel point on le hait et on le méprise; on en fera profession publique quand il le faudra. Le Chevalier d'Aidie vient de mourir en revenant de la chasse; on mourra volontiers après avoir tiré sur les bêtes puantes. D'ailleurs, on n'a rien à perdre en France, et on trouvera par tout ailleurs des établissements assez avantageux pour braver avec sécurité, et pour confondre avec les armes de la vérité les délateurs hipocrites, et les calomniateurs impudents. Je ne connais l'homme dont il est question qu'à ses titres; et si je le rencontrais je le lui dirais en face, s'il a une face.

Pardonez mes divins anges à cette petite digression un peu aigrelette. Il y a longtemps que je couve ce fiel dans le fonds de mon cœur. Voylà ma bile purgée. Je me rends à tous les charmes de votre commerce, à votre douceur, à vos grâces. Je suis doux comme vous quand je me suis vangé.

Je ne crois pas que l'auteur du pantaedai doive le lâcher si tôt. Il n'y a que Tiriot je crois qui en soit en possession. Je luy mande d'attendre; et il attendra. Il faut tendre actuellement touttes les cordes de son âme pour punir Fréron de son insolence, et pour luy procurer quelque afflictive salutaire, qui luy aprenne à ne plus insulter une fille de condition, et le nom de Corneille dans ses infamies littéraires. Lecluse, qui n'est point celuy de l'opéra comique mais chirurgien du roy de Pologne, a donné sa procuration et demande justice. Made Denis a envoyé son certificat. Le nommé Freron est très punissable et le procez criminel ne sera pas long. Lebrun a touttes les pièces. Il ne manque que la procuration du bon homme Corneille. Je mets le tout sous votre protection. Vous êtes bon, mais vous êtes ferme, et c'est icy qu'il faut l'être. Mon contemporain le pd de la Marche m'a écrit une lettre pleine d'esprit.

Le mal de Bellîle est il mort? mr de Choiseuil a t'il la guerre? mr de Chauvelin le ministère de paix? Ne soufrez pas que Leblanc soit de l'académie.

Pleurez vous toujours? Je pleure votre absence.

V.