1761-01-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Adorables anges, je demande grâce pour ce beau mot: s'il y sert Dieu, c'est qu'il est éxilé; car vous sçavez que d'ordinaire disgrâce engeandre dévotion.
Oui mort d: je sers dieu, car j'ai en horreur les jésuites et les jansénistes, car j'aime ma patrie, car je vais à la messe tous les dimanches, car j'établis des Ecoles, car je bâtis des Eglises, car je vais établir un hôpital, car il n'y a plus de pauvres chez moi, en dépit des commis des gabelles. Oui je sers Dieu, je crois en Dieu et je veux qu'on le sache.

Vous n'êtes pas content du portrait du petit singe? Eh bien, en voicy un autre.

Un petit singe, ignorant indocile,
Au sourcil noir, au long et noir habit,
Plus noir encor et de cœur et d'esprit,
Répend sur moi ses phrases et sa bile.
En grimaçant le monstre s'aplaudit
D'être à la fois et Tersite et Zoïle.
Mais grâce au ciel il est un roy puissant,
Sage, éclairé etca.

Le singe se reconnaîtra s'il veut, je ne peux faire mieux pour quant à présent; je n'ai que trois gardes; si j'en avais d'avantage, je vous réponds que tous ces drôles s'en trouveraient mal. Il faut verser son sang pour servir ses amis, et pour se vanger de ses ennemis, sans quoi on n'est pas digne d'ètre homme. Je mourrai en bravant tous ces ennemis du sens commun. S'ils ont le pouvoir (ce que je ne crois pas) de me persécuter dans l'enceinte de quatrevingt lieües de montagnes qui touchent au ciel, j'ai, dieu mercy, quarante cinq mille Livres de rente dans les païs étrangers; et j'abandonnerai volontiers ce qui me reste en France pour aller mépriser ailleurs à mon aise d'un souverain mépris, des bourgeois insolents, dont le roy est aussi mécontent que moi.

Pardonnez, mes divins anges à cet antousiasme; il est d'un cœur né sensible, et qui ne sçait point haïr ne sçait point aimer.

Venons àprésent au Tripot, et changeons de stile.

Vous vous plaignez de n'avoir point Fanime. Quoi! vous voulez donner tout de suitte deux vieillards radoteurs qui grondent leurs filles? n'avez vous pas de honte? ne sentez vous pas quelle prodigieuse différence il y a entre la fin de Tancrède, et la fin de Fanime? Attendez, vous dis-je, attendez pâques fleuries. Je vous remercie bien humblement, bien tendrement, de toutes vos bontés charmantes, et de vôtre tasse pour la muse limonadière, et de la feuille de ce coquin de Fréron. Sçavez vous bien que c'est là un libelle diffamatoire, personnel, et punissable? Quoi! il dira impunément que mlle Corneille est élevée par un danseur de corde dans un bordel! Quoi! il empèchera une jeune personne qui a deux cent ans de noblesse, et qui porte le nom de Corneille, de se marier! Quoi! il outragera ma nièce qui seule prend soin de l'éducation de cette demoiselle! Quoi! il insultera le sr L'Ecluse, bourgeois de Paris, chirurgien dentiste très estimé, qui, à la vérité, a fait une faute il y a trente ans, mais qui a une conduite très estimable, qui connait à peine mlle Corneille, et qui depuis plus de quatre mois n'a mis le pied chez nous! Il est à Genêve où il éxerce sa profession avec honneur, en attendant qu'il retourne en France où il est seigneur de paroisse. Made Denis en écrit à mr le chancelier. Je vous prie d'en parler à Mr le Duc de Choiseuil, à qui nous en écrirons aussi; Il faut que mon procureur le poursuive criminellement au nom du père de mlle Corneille; c'est ce que je mande à mr Le Brun; je vous suplie d'envoier chercher le bon homme, il a de l'honneur, il n'a qu'à signer un ordre au procureur. Je payerai bien volontiers tous les frais. Ce n'est pas vangeance cecy, ce n'est pas mauvaise humeur, c'est justice. Je ne veux point finir ma Lettre par des idées tristes. Je vois d'icy mlle Clairon enchanter tous les cœurs, et si les siflets sont pour moi, les battements de mains sont pour elle. Je m'apelle Pancrace, mais je ne veux de ma vie gratter la porte d'aucun cabinet; j'aimerais mieux gratter la terre. Mon seul malheur dans ce monde c'est de n'être pas dans vôtre cabinet pour manger avec vous du parmesan, pour boire, car j'aime à boire (comme vous sçavez). Puissent les yeux de monsieur D'Argental ne pleurer qu'aux tragédies. Les miens pleurent d'une absence qu'un parti si triste, mais sagement pris, rend éternelle.

Une autre fois je vous parlerai du droit du seigneur, je ne peux vous parler aujourd'huy que des justes droits que vous avez sur mon âme.

Je suis malingre, j'ay dicté et peutêtre avec mauvaise humeur. Excusez un vieillard verd.