1761-01-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jeanne Grâce Bosc Du Bouchet, comtesse d'Argental.

Que monsieur et madame écrivent à eux deux des lettres aimables! Je ne peux pas croire que des anges qui écrivent si bien, aient tort sur ce droit du seigneur.
Cependant les écailles ne sont pas encore tombées de mes yeux. Mais pourquoi mr d'Argental n'écrit il pas? Quoi, pas un mot! Aurait il toujours son ophtalmie? S'il n'est que paresseux je suis consolé. Il a un charmant secrétaire. Tenez, petite fille, voilà comme les dames écrivent à Paris. Voyez que cela est droit; et ce style, qu'en dites vous? quand écrirez vous de même, descendante de Corneille? Cela donne de l'émulation, elle va vite m'écrire un petit billet dans sa chambre. C'est je vous assure une plaisante éducation.

Je suis à vos pieds, madame, moi et la muse limonadière. Comment, du cercle de mes montagnes pouvoir reconnaître tant de bontés?

Voulez vous vous amuser à lire ce chiffon? voulez vous le lire à melle Clairon? Il n'y a que vous et m. le duc de Choiseul qui en ayez. Vous m'allez dire que je deviens bien hardi, et un peu méchant sur mes vieux jours. — Méchant! non; je deviens Minos, je juge les pervers. — Mais prenez garde à vous, il y a des gens qui ne pardonnent point. — Je le sais; et je suis comme eux. J'ai soixante et sept ans; je vais à la messe de ma paroisse; j'édifie mon peuple; je bâtis une église; j'y communie, et je m'y ferai enterrer, mort-dieu! malgré les hypocrites. Je crois en Jésus Christ consubstantiel à dieu, en la vierge Marie, mère de dieu. Lâches persécuteurs, qu'avez vous à me dire? — Mais vous avez fait la Pucelle. — Non, je ne l'ai pas faite; c'est vous qui en êtes l'auteur; c'est vous qui avez mis vos oreilles à la monture de Jeanne. Je suis bon chrétien, bon serviteur du roi, bon seigneur de paroisse, bon précepteur de fille; je fais trembler jésuites et curés; je fais ce que je veux de ma petite province grande comme la main, excepté quand les fermiers généraux s'en mêlent; je suis homme à avoir le pape dans ma manche quand je voudrai. Eh bien! cuistres, qu'avez vous à dire?

Voilà mes chers anges ce que je répondrais aux Fantin, aux Grizel, aux Guion, et au petit singe noir. J'aime d'ailleurs les vengeances qui me font pouffer de rire. Et puis, qui est ce singe noir? C'est peut-être Bertier, c'est peut-être Gauchat, Caveirac. Tous ces gens là sont également la gloire de la France.

J'ai lu la Théorie de l'impôt. Elle me paraît aussi absurde que ridiculement écrite. Je n'aime point ces amis des hommes qui crient sans cesse aux ennemis de l'état: nous sommes ruinés; venez, il y fait bon.

A vos pieds.

Pour dieu, daignez m'envoyer (paroles ne puent point) la feuille de l'infâme contre m. le Brun. J'avoue que l'ode est bien longue, qu'il y a de terribles impropriétés de style, mais il y a de fort belles strophes, et j'aime m. le Brun, il m'a fait faire une bonne action, dont je suis plus content de jour en jour.

V.