au châtau de Ferney 6 avril 1761
Voicy monsieur une seconde édition du mémoire que Mr Tiriot m'avait fait tenir. La première était trop pleine de fautes. Si vous voulez encor des exemplaires, vous n'avez qu'à parler. Il n'est que trop vrai que le libelle diffamatoire de ce coquin de Fréron a eu les suittes désagréables que j'ay confiées à votre discrétion. Je me suis fait un devoir de vous donner part de tout ce qui regarde mademoiselle Corneille. C'est à vous que je dois l'honneur de l'élever. Encor une fois je ne peux m'imaginer que Mr de Malzerbes refuse ce qu'on luy demande. Il ne s'agit que d'un désaveu nécessaire. Ce désaveu à la vérité décréditera les feuilles de Freron. Mais mr de Malzerbes partagerait luy même l'infamie de Freron s'il hésitait à rendre cette légère justice. En cas qu'il soit assez mal conseillé pour ne pas faire ce qu'on luy propose et ce qu'il doit, il peut savoir qu'il met les offenséz en droit de se plaindre de luy même, que le nom de Corneille vaut bien le sien, et qu'il se trouvera des âmes assez généreuses pour venger l'honneur de Melle Corneille de l'opprobre qu'un protecteur de Freron ose jetter sur elle. Le nom de Freron est sans doute celuy du dernier des hommes, mais celuy de son protecteur serait à coup sûr l'avant dernier.
Vous aurez sans doute monsieur la gloire de terminer cette affaire. Je n'y suis pour rien personnellement. Je ne pouvais avoir chez moy l'Ecluse sans avoir à rendre compte à personne, mais il n'est pas permis d'imprimer que mademoiselle Corneille est élevée par l'Ecluse, par un acteur de l'opéra comique. Mon indignation contre ceux qui tolèrent cette insolence, subsiste toujours dans toutte sa force. Melle Corneille vivante vaut mieux sans doute qu'un Baqueville mort et mort fou. Cependant on a mis Fréron au Fort l'évèque pour avoir raillé ce fou qui n'était plus; et on le laisse impuni quand il outrage indignement melle Corneille; vous voyez monsieur que ny le temps ny l'injustice des hommes n'affaiblissent mes sentiments. Je trouve dans votre caractère la même constance. C'est une nouvelle raison qui m'attache à vous. Elle se joint à tant d'autres que je me sens pour vous la plus sincère amitié. Elle supplée au bonheur qui me manque de vous avoir vu. . . . etc.
V.
Permettez que je vous adresse cette petite lettre pr mr Corneille, et ayez la bonté de présenter mes respects à mr Titon et aux dames qui sont chez luy.