Il faut apprendre à mes anges gardiens que la feuille de Freron qu'on a traittée de bagatelle a eü les suittes les plus désagréables.
Un gentilâtre bourguignon voulait l'épouser (cette Corneille); il a vu la feuille; il a vu que melle Corneille était fille d'un paysan qui subsistait d'un employ de 50lt par mois à la poste de deux sous. Il n'a jamais lu le Cid; il a cru qu'on le trompait quand on luy disait que melle Corneille avait deux cent ans de noblesse; le mariage a été rompu. Il est bien étrange qu'on souffre de telles personalitez uniquement parce qu'on croit que j'y suis compromis. Nous demandons à mr de Malzerbes qu'il exige au moins une rétractation formelle du coquin, qu'il dise qu'il demande pardon au public d'avoir outragé un
nom respectable en disant que m
elle
Corneille avait quitté le couvent pour aller recevoir une nouvelle éducation du sr Lecluse acteur de l'opéra comique, qu'il avoue qu'il a été grossièrement trompé
et qu'il se repent d'avoir donné ce scandale.
Mr de Malzerbes qui paye le journal des savants du produit des feuilles de Fréron ne peut refuser cette justice. S'il la refusait il serait aussi coupable que Freron. Nous supplions très instamment mr Dargental de vouloir bien en parler à mr de Malzerbes. C'est une affaire que nous n'abandonnerons jamais, et mr de Malzerbes ne doit point pousser à bout cinq ou six personnes intéressées à demander une réparation si légitime.
Mon cher ange prenez le sort de melle Corneille à cœur; nous vous en conjurons. Je jure bien de ne jamais travailler pour le téâtre si on profane ainsi le nom de notre père.
Voicy un mémoire bien bas mais c'est aussi du plus bas des hommes dont il s'agit. Je le tiens de Tiriot. Cela parait avoir un air de grande vérité. Est il possible qu'on protège un pareil misérable? Si mr de Malzerbe savait le tort qu'il se fait en autorisant Fréron, il cesserait de partager ses turpitudes. Il s'en repentira plus qu'il ne pense.
Ayez la bonté de m'apprendre ce que c'est que la déconvenue de cet abbé Coyer. Je m'y intéresse infiniment, c'est un de nos frères.
La littérature est trop déshonorée et trop persécutée à Paris, et mon aversion pour cette ville est égale à mon idolâtrie pour mes anges.
Je les supplie de me répondre sur Oreste, sur la pièce d'Urtaut, sur mr de Malzerbes. De la paix, je ne m'en soucie guères, je sçai bien qu'elle ne se fera pas.
à Ferney 3 avril [1761]