1754-02-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Louise Denis.

Ma chère enfant vous ne m'avez répondu ny sur les paquets que je vous ay envoyez par mrs Tirou, et la Reiniere, ny surtout sur L'article de Mr de Malzerbe.
Cette abominable édition de Neaume me perd absolument. Vous savez que M. de Malzerbe me manda qu'il ne pouvait faire autre chose que de dire que je la désavouais.

Mais je vous avais conjurée deux fois dès que ce livre parut, d'exiger la suppression. Vous me mandâtes que Mr de Malzerbe était très content de l'ouvrage ainsi que le public. Vous ne pouviez connaître ny les affreuses conséquences de ce livre ny les fautes absurdes dont il est rempli. Vous futte séduitte par les louanges de quelques personnes qui n'ont que de l'esprit, et qui ne connaissent ny l'histoire, ny L'implacable haine de ceux qui ont été choquez des véritez qu'on trouve dans cet ouvrage informe.

Je suis bien loin de vous en savoir mauvais gré. Puije vous savoir mauvais gré de quelque chose? D'ailleurs vous étiez malade. Ma mauvaise fortune a tout fait. Cependant j'ay cru devoir écrire à Mr de Malzerbe le fait tel qu'il est. Je luy ay certifié que j'avais demandé deux fois la suppression de l'ouvrage. Je l'ay assuré que vous aviez mes lettres entre les mains. C'est à vous à les luy montrer, et à exiger que le roy en soit instruit. J'insiste sur mon placet, j'insiste que Mr le chancelier, instruit de la différence qui est entre mon vrai manuscrit et L'imprimé, en rende compte à sa majesté. C'est une justice; on me la doit; et je suis en droit de la demander.

M. de Malzerbes pourait même exiger de l'évêque de Mirepoix qu'il réparât le tort qu'il me fait par une accusation injuste et précipitée.

Cependant ma chère enfant envoyez moy le plusstôt que vous pourez un manuscrit de cette histoire par la poste; et mes papiers par les rouliers. Je n'ay de lueur de consolation que dans l'espérance de vous revoir soit à Plombiere soit à une campagne au printemps. Plaise à la destinée que ce ne soit pas pour la dernière fois de ma vie. Je vous embrasse avec larmes.

V.