à Colmar 7 février [1754]
Vraiment mon cher ange il est bien vray que les impressions de cette malheureuse histoire, prétendue universelle ne sont pas effacées.
Les playes sont récentes, elles saignent et sont bien profondes. Il est certain qu'on m'a voulu perdre en France après m'avoir perdu en Prusse et qu'on a engagé ce coquin de libraire de Berlin et de la Haye à imprimer un ancien manuscrit informe pour m'achever. Il est incontestable que ce manuscrit est très différent du mien. Je conjurai ma nièce d'exiger la suppression du livre dès qu'il parut. Elle eut la faiblesse de croire ceux qui en étaient contents. Elle me manda que Mr de Malzerbe le trouvait très bon, et aujourduy mr de Malzerbe croit ne me pas devoir le témoignage que je demande. Il m'est pourtant essentiel qu'on sache la vérité, non que j'espère qu'on me rendra une entière justice, mais du moins la persécution en sera affaiblie, elle est extrême. Il ne s'agit plus probablement de Ste Palaye, et encor moins de tragédies. Il s'agit d'aller mourir loin des injustices et des persécutions. N'auriez vous point mon cher ange quelque homme sage et discret à la probité de qui je pusse confier le maniement de mes affaires, et L'emballage de mes meubles? Vous aviez ce me semble un clerc de notaire dont vous étiez très content. Il faudrait que vous eussiez la bonté d'arranger avec luy ses apointements. Je le chargerais de ma correspondance, mais j'exigerais le plus profond secret. J'attends cette nouvelle preuve de votre généreuse amitié. Je ne peux songer à tout cela sans répandre des larmes.
J'ay écrit à Lambert, je luy ay recommandé des cartons que je luy ay envoyez pour ces annales. Je vous prie quand vous irez à la comédie d'exiger de luy cette attention. La passion des esprits faibles ferait trop crier les esprits méchants.
Adieu mon adorable ange, mille tendres respects à me Dargental.