2 fév. [1761]

J'ai l'honneur, Monsieur, de vous écrire encor au sujet de m^lle Corneille; vous ne laisserez point vôtre bonne œuvre imparfaitte, et après l'avoir sauvée de la pauvreté, vous la sauverez du déshonneur; j'écrisà m^r Du Molard en conformité.

Vous avez dû recevoir le certificat de mad^e Denis, voicy celui du Résident de France. J'ai eu L'honneur de vous envoyer la procuration du s^r de L'Ecluse du Tilloy, pour se joindre à la plainte de m^r Corneille. Le s^r L'Ecluse n'est point celui qui a monté sur le théâtre de la foire, je le crois son cousin; il est seigneur de la terre du Tilloi en Gatinois.

Je vous réïtère, Monsieur, qu'il ne s'agit que d'une procuration de m^r Corneille; que l'affaire ne fera nulle difficulté, que Fréron sera condamné à une peine infamante, et à de gros dédommagements. Je suis bien sûr que vous saisirez une occasion aussi favorable, et que m^r D'Argental vous aidera de tout son pouvoir; ce n'est point au parlement qu'il faut s'adresser, comme je le croiais, mais au Lieutenant criminel, dont le nommé Fréron est naturellement le gibier.

Je vous réïtère encor, Monsieur, que j'ai été indispensablement obligé d'envoier un petit avertissement, pour faire sçavoir que vôtre Libraire a eu tort de mettre l'édition de vos Lettres et des miennes sous le nom de Genève. C'est une chose très importante pour moi; il ne faut pas qu'on croye dans le public que je fasse imprimer à Genève aucune brochure, en éffet, on n'en imprime aucune dans cette ville dont je suis éloigné de deux lieües, et il est nécessaire qu'on le sache, vous en sentez toutes les conséquences.

Je vous ai rendu, Monsieur, toute la justice que je vous dois dans cet avertissement, et je me suis livré à tout ce que mon goût & mon cœur m'ont dicté. Je confie à vôtre amitié et à vôtre prudence, la copie de la Lettre que j'écris à ce sujet. Soyez persuadé, Monsieur, que je vous suis attaché comme le père de m^lle Corneille doit vous l'être.

Je présente mes respects à m^lle Le Brun.

V.

2^e fév: 1761