1760-10-03, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Acte Premier, dernière scène

AMENAIDE

Lorsque la Tirannie au comble est parvenüe.
Il est temps qu'il paraisse et qu'on tremble à sa vüe.
Tancrède est dans Messine.

FANIE

Est-il vrai justes cieux!
Et ce fatal himen est formé sous ses yeux!

AMENAIDE

Il ne le sera pas — et dès demain peut être
Mes oppresseurs et moi nous reverrons un maître.
Viens — je t'apprendrai tout. — Mais il faut tout oser.
Viens, le joug est affreux; ma main doit le briser.
Le seul nom de Tancrède enhardit ma faiblesse.
Le trahir est un crime — obéïr est bassesse.
S'il vient c'est pour moi seule, et je l'ai mérité;
Et moi timide Esclave à son tyran promise
Victime malheureuse, indignement soumise
Je mettrais mon devoir dans l'infidélité!
Non, l'amour à mon sèxe inspire le Courage,
C'est à moi de hâter ce fortuné retour,
Et s'il est des dangers que ma crainte envisage
Ces dangers me sont chers, ils naissent de l'amour.
Fin du 1er Acte

Acte second, scène premiére

AMENAIDE

Où portai-je mes pas? — d'où vient que je frissonne?
Moi des remords! — qui? — moi! — le crime seul les donne —
Ma cause est juste — ô cieux protègez mes desseins! —
(à Fanie qui entre)
Allons, rassurons nous — suis-je en tout obéïe?

FANIE

Vôtre esclave est parti, la Lettre est dans ses mains.

AMENAIDE

Il est maître, il est vrai, du secrêt de ma vie —
Mais je connais son zèle; il m'a toujours servie;
On doit tout quelquefois aux derniers des humains.
Né d'aieux musulmans chez les siracusains,
Instruit dans les deux loix et dans les deux langages
Du Camp des Sarrasins il connaît les passages
Et des monts de L'Etna les plus secrêts chemins.
C'est lui qui découvrit dans une course utile
Que Tancrède en secret a revû la Sicile,
Et ses soins, en un mot vont changer mes destins.
Ma Lettre par ses mains remise aux mains d'un maure
Dans Messine demain doit être avant L'aurore.
Des Maures et des Grecs les besoins mutuels
Ont toujours conservé dans cette longue guerre
Une correspondance à tous deux nécessaire,
Tant la nature unit les malheureux mortels!

FANIE

Ce pas est dangereux; mais le nom de Tancrède,
Ce nom si redoutable à qui tout autre cède
Et qu'icy nos Tyrans ont toujours en horreur.
etca

Voilà qui est plus animé, plus intéressant, plus simple, plus vraisemblable. Il y a une trentaine de corrections répandues dans les premiers actes. Ce sont minuties au téâtre, choses importantes à l'impression. Je ne sçais où en est le courant de la pièce. Ne pourai-je obtenir deux choses? ô mes anges! C'est qu'on cessât les représentations (cela est peutêtre déjà fait) et qu'on la reprit avec tous les changements par moy envoyées, seulement quinze jours après qu'on l'aurait interrompue, seulement pour essaier mes nouvautez? Ensuitte j'enverrais un manuscrit bien correct, et la pièce bien limée, et on l'imprimerait avec ma dédicace. Je voudrais travailler encor à Tancrede mais je jouai hier Zamti, et je le jouai, comme il ne sera jamais joué par aucun comédien. Je pleurais, je faisais fondre en larmes. Non vous di-je vous n'avez jamais rien vu de pareil. Je vais jouer Zopire, je déchirerai le cœur, entendez vous. Je vous dis que je suis le premier vieillard de tous les tripots. Le bon home Cassandre n'approche pas de moy, aussi on y vient de cent lieues, mais ô anges je ne vous vois pas.

V.