1759-06-10, de Jeanne Grâce Bosc Du Bouchet, comtesse d'Argental à Voltaire [François Marie Arouet].

Je commence par faire faire une remarque à m. d. V., c'est qu'il faut que cette manière d'entrelasser les vers avertisse moins sur la rime que la façon ordinaire, et effectivement étant moins marquée cela doit être, mais ce qui est sûrement, c'est qu'il a laissés plusieurs vers sans rimes.
Par éxemple il ns a envoyé ces deux cy:

Il vs fut attaché dès ses plus jeunes ans,
Vos intérêts lui sont aussi chers que sa vie,

qui sont très bien pr fonder le choix du commissionnaire. Mais il n'y a rien qui rime au 1er. Je lui dirai quand ns serons au 2e acte comment ns ns en sommes tirés. A la 1ère sc. du 1er acte après ce vers d'Argire, Le plus grand de nos biens&c. il avoit oublié celui cy qui est si beau, Le droit le plus sacré des mortels généreux. Heureusement ns l'avons retrouvé sur notre manuscrit, où ns avons inutillement cherché les autres. On sent bien que celui cy est une faute du copiste, mais m. d. V. a sûrement collationné, et cela ne l'a point arrêté. A la sc. 3e du 3e acte, entre ce vers de Tancrede

. . . L'entendre et m'éclairer,

et la rime à la réponse d'Aldamon,

. . . et l'on va la livrer,

il y a 4 vers dont 2 masculins. Ce n'est pas à nous à dire à m. d. V. que ce ne sont plus des vers, par conséquent manque d'attention. Au 5e acte, il n'y a point de rime à ce vers cy d'Aménaïde: Parlés, qu'est devenu ce héros invincible? J'ay dans l'esprit qu'il y en a encor d'autres, mais comme j'ay négligé de les marquer, il seroit trop long de les rechercher. M. de V. averti les aura bientôt trouvés si cela est: je dois seulement lui dire que par tout où ns en avons trouvé sur la copie remise à m. de C. ns ns sommes contentés d'écrire en marge, il y a ici quelque chose d'oublié. Sans ns ingérer de fagoter de mauvais vers, ce que ns ne faisons que quand ns y sommes forcés. J'ay voulu d'abord me tirer de cette chicane.

A présent j'ay bien du plaisir à dire à m. d. V. que ns sommes déjà fort contents de ce qu'il a fait, que ns trouvons que cela prend très bien la forme que ns désirions. Ns pensons qu'il y a bien encor quelques pierres à mettre aux fondemens, des touches en plusieurs endroits; mais comme m. d. V. ns assure qu'il le pense de même, et que son intention est d'avoir égard à tout ce que ns avons pris la liberté de lui représenter, ns ne le fatiguerons pas de rabâchages. Ayant cette intention il trouvera mieux que ns ce qu'il y a à faire pr L'exécuter. Ns allons seulement entrer dans quelques détails.

acte 1er, sc. 2e

ORBASSAN

Et dans ma femme enfin, me regarder moi même.

Il ns paroit que le vrai terme, celui qui est d'usage, qui est aussi plus noble, seroit me respecter, et pr cela il ne faut que changer un vers qui est 2 ou 3 au dessus de celui là, et mettre

. . . mais je scais ce qu'on doit à la naissance, au rang.

acte 2e

Voici comment ns avons fait usage des 2 vers que m. d. V. ns a envoyés. Ns avons imaginé sans être bien fins que la rime et la raison indiquoient que cette rime devoit être tourmens. Voici ce que ns y avons cousu

Il subiroit pr vs les plus affreux tourmens.

Il ns a paru qu'il n'y avoit qu'une seule façon de placer ce vers, et même qui demandoit quelques légers changemens dans les autres: les voici donc

AMENAIDE

Suis je en tout obéïe?

FANIE

Vous connoissés L'esclave en qui je me confie,
Il vous fut attaché dès ses plus jeunes ans,
Il subiroit pour vous les plus affreux tourmens,
Vos intérêts lui sont aussi chers que sa vie.
Né d'un mahométan chés les siracusains,
Instruit dans les deux loix et dans les deux langages
Du camp des sarrazins il connoit les passages &c.

Peut-être la gradation suivant cet arrangement demandoit-elle

Vos intérêts lui sont plus chers,

au lieu d'aussi, mais il auroit fallu changer encore un vers de m. d. V. ce que ns ne faisons jamais qu'avec crainte et tremblement quand ns y sommes forcés.

même sc.

AMENAIDE

. . . . . . . . . . . . . . . . L'heureuse intelligence
Que &c.

Ns représentons encor à m. d. V. qu'il ne faut point du tout qu'Am. parle de ces intelligences que Tancrede conservoit dans Messine; et qu'elles lui soient connües en façon du monde. Si elle les connoit, elle s'en est servie, sans doute, pr en entretenir elle même une avec lui, et pr quoi ne s'en sert-elle pas dans cette occasion, au lieu d'employer un esclave? Cela vaudroit bien mieux et pr le secret, et pr la certitude de faire rendre sa lettre. Cela contredit même la question qu'elle fait à Fanie, si elle croit qu'il ait encor des partisans dans Messine? Je sçais qu'on peut répondre qu'elle n'ose pas se servir de ceux avec lesquels Tanc. a entretenu correspondance jusqu'à lors, parce qu'elle craint qu'ils ne soient intimidés par la loi. Mais outre que cette réponse ne seroit pas trop bonne, c'est que ce n'est pas encor la grande raison pr laquelle il ne faut pas qu'A. parle de cette intelligence, mais parce qu'il faut éloigner de mil lieües toute idée de commerce entre elle et Tanc.; toute possibilité qu'A. ait pu sçavoir de ses nouvelles par cette voye. Car si cette possibilité éxiste, le soupçon doit venir à Tanc. qu'il n'est pas impossible qu'on lui ait appris qu'il étoit à Messine, et que par conséquent le billet peut être pr lui; dès lors sa crédulité que m. d. V. a commencé à très bien fonder, ne l'est plus assés.

Voici une réflexion qui vient me frapper dans ce moment, c'est qu'il ne faut pas que ce soit par Ald. qu'Am. ait appris que Tanc. est à Messine; car si c'est par lui, comment ne s'avise t'il pas dans L'envie qu'il a de consoler Tanc., de trouver Amén. innocente, de dire à Tanc., Mais, attendés donc, je lui ay appris, moi, que vs étiés à Messine, ne seroit-ce point à vs qu'elle écrit? Et puis on pourroit toujours penser que cet avis que donne Ald. à Amén. est une suite de l'usage où ils étoient de se servir de lui, ce qui revient à cette idée de commerce établi entreux . . . . Cette seconde objection peut n'être pas bien forte, mais elle vient à l'appui de l'autre qui est sans réplique.

même acte, sec 5e

LOREDAN

L'esclave nous a dit.

Il nous paroit qu'il ne faut point qu'un esclave de la fidélité, de l'attachement dont on dépeint celui cy, et dont il est nécessaire de le dépeindre, pour authoriser Amén. à lui confier une commission de cette importance, ait avoüé où il portoit le billet. Un homme aussi dévoüé dit: 'Je n'en sçais rien, je devois trouver quelqu'un à une distance d'ici à qui j'avois ordre de le remettre,' et il le dit d'autant plus, que sans supposer même ce dernier degré d'attachement et de dévoüement il sent que son aveu perd sa maitresse sans le sauver, car s'il n'y a point pour elle de plus grand crime que de communiquer avec des ennemis qui sont aux portes; il est, lui, tout aussi coupable pr avoir porté le billet, qu'elle pr l'avoir envoyé. Et on ne sçauroit répondre que c'est un balourd (comme m. d. V. qui n'y a pas bien songé le qualifie dans les lettres où il nous en parle) qui ne sçait pas faire cette réflexion. Ce doit être tout l'opposé d'un balourd, car si c'en étoit un, Amen. seroit elle même une balourde, et de plus une étourdie de L'avoir employé. Rien n'est si aisé à ajuster: Lorédan n'a qu'à dire qu'on a surpris L'esclave comme il entroit dans le camp de Norador, chose d'autant plus vraisemblable qu'Arg. ns a dit au 1er acte, que ce camp étoit encore entre Siracuse et Messine.

acte 3e, sce 1ère

TANCREDE

Ah! parle est il bien vrai . . . .

Ns ne trouvons pas encor que ce soit cela. Ns voudrions T'u m'as dit.

Sce seconde

TANC.

Au lieu de: je viens pour elle seule au sein de ma patrie . . . ns voudrions, par éxemple, je revole pour elle &c. à cause des vers suivants . . .

De ma patrie ingrate, et qui dans mon malheur
Après Aménaide est si chèreà mon coeur.

Aménaïde va devant, mais ne va donc pas seule.

M. d. V. a oublié de changer ces deux vers cy, qui n'ont que faute de tems et de rime.

Ma chère Aménaide, après mon trépas même
Orbassan pourroit-il obtenir que tu l'aimes.

Pour ceux là il étoit impossible de les laisser. Voici ce que ns y avons mis, en attendant ce qu'il plaira à m. d. V. d'y substituer:

Même après mon trépas, ma chère Aménaide
Orbassan pourroit-il rendre ton coeur perfide?
Non, je ne le crains pas, je connois bien ce coeur &c.

Dans la scène qui suit:

ALDAMON

Pour un des fameux chefs . . .

Nous voudrions à la place: pour Norador (le) (un) chef de cette nation, pour toujours le nommer par tout où on le peut.

See 7e

ARGIRE

Dissipe ses allarmes . . .

Pourquoi pas nos allarmes? elles leurs sont bien communes.

C'est ici le lieu de demander à m. de V. s'il n'est pas bien content de la différence qu'il y a qu'Argire ne dise plus à Tanc. que ce sera contre Orb. qu'il aura à combattre? Combien le défi que Tanc. lui fait en devient plus vif n'étant pas annoncé! Combien ce que dit Orb . . . y gagne! La peine qu'il marquoit de son supplice étoit ridicule, quand on venoit de ns dire qu'il vouloit se battre pour qu'elle n'y échapât pas; au lieu qu'à présent, ce qu'il dit est dans les justes proportions de la circonstance et de son caractère, et on ne peut pas mieux.

La scène qui suit entre le père et la fille est bien embellie. Il n'y a pas de comparaison entre, Ah! ma fille est-ce toi? . . . Ou, Ah ma fille le ciel, et ce qui suit. Rien n'est si beau, si noble, si touchant que la réponse qu'elle lui fait: avec les yeux d'un père.

Oublié dans la sce 4e de cet acte:

ARG.

Vous rendés quelque vie à ce coeur abbatu.
Eh qui pour nous défendre entreroit dans la lice?

Mais ne seroit il pas mieux là que eh?

Vous me donnés quelque espérance  . . . mais cependant . . .

Il semble que voilà la liaison de la pensée et du discours, et que l'autre manière est décousüe.

acte 4e

sce seconde

TANCREDE, ALDAMON
TANC.

Son père m'a tout dit.

Il ns paroit qu'il faudroit là, tu sçais que son père m'a tout avoüé . . . . a été forcé d'avoüer lui même qu'elle étoit coupable . . . quelque chose comme cela. M. d. V. fera attention que c'est devant cet Ald. qu'Argire est convenu que sa fille étoit coupable. Il est cependant fort naturel que Tanc. lui rappelle cet aveu qui est terrible contre Amen. Mais de la façon dont cela est tourné, il semble que Tanc. veuille apprendre quelque chose à Ald., et que ce quelque chose soit que le père lui a conté toutes les circonstances, ce qui ne se peut pas, puis que ns sçavons qu'il n'a vu le père que cette seule fois devant Aldamon.

N'y auroit-il pas moyen de changer la marche de cette scène? Je m'explique: c'est que ce que dit Tancrede,

Ah, s'il étoit possible! ah, si tu pouvois être, &c.

ce qui est un espèce de retour, au moins de combat de son sentiment, ne fût pas à la fin, au moment où elle va paroitre. Ne pourroit-on pas le placer après ce que dit Ald., la calomnie y règne . . . que Tanc. répondit, Ah s'il étoit possible! mais non, tout est avéré; afin que ce fût quand elle paroit qu'il fût le plus animé, le plus irrité contre elle, où sa conviction fût la plus forte. Il paroit que cela prépare et justifie davantage la manière dont il la traite, que ns craignons toujours qui ne paroisse un peu dure. C'est dans ce même esprit que nous voudrions que le che͞r qui vient le chercher lui dit quelque chose de plus pressant: que les maures avancent . . . qu'il n'y a pas un moment à perdre . . . On sçait bien qu'Orbassan a dit, Nous sommes prévenus, ceux qui nous trahissoient . . ., mais il y a longtems, cela échape, sur tout à une 1ère représentation qui est si importante pr décider le succès. Il faut songer que le public, de qui l'innocence d'Aménaide, la vérité, la grandeur de sa passion pour Tancrede seront connuës, L'aimera à la folie, que cet intérêt, cette prévention rendent injuste au théâtre, comme ils le rendroient dans la société. Il faut donc faire si bien qu'on soit accablé avec elle, mais sans pouvoir blâmer Tancrede. Revenons à la scène entre Tancrede et Ald. Nous voudrions au lieu de: c'est un chef insolent &c. c'est Norador le chef &c. Il faut toujours frapper de ce nom. Plus: que lors qu'on en parle, on dit toujours le chef, et non un des chefs. Qui est-ce qui empêche qu'il ne soit en effet le seul chef, le souverain de cette partie des maures qui sont en Sicile? Il seroit bien de dire même formellement qu'il L'est. Roi seroit encore mieux, parce que cela va à le rendre plus considérable, plus brillant, et par conséquent à donner plus de vraisemblance à L'éblouissement d'Amé . . . . et au désir qu'elle a de régner avec un pareil homme.

C'est ici où nous désirerions bien que m. d. V. fit expliquer davantage Tanc., que ce fut en cet endroit qu'au lieu de dire au commencement du couplet: son père m'a tout dit, il dise qu'on lui a tout appris. Lorédan a dit au 2e acte: pour L'honneur d'Orbassan je supprime le reste. C'est ce reste dont il faut qu'on ait instruit Tanc. et qui soit assommant. M. de V. a rejetté notre projet de la demande en mariage, malgré les éxemples multipliés que L'histoire de ces tems là fournit de ceux de cette espèce. Il y a à parier que c'est lui qui a raison. Aussi ne L'avions ns proposé que pr qu'il en prit ce qu'il jugeroit à propos, et toujours dans l'idée qu'il faloit des fondemens de la plus grande force. Ne pourroit'on pas en reprendre ici quelque chose? Sans tout l'échafaudage de la demande en forme, de L'ambassade . . . pr quoi Tancrede ne diroit-il pas que Norador a eu une grande passion pr elle qui a éclaté, par des fêtes, des galanteries, chose tout à fait dans le goût des maures, qu'il osoit même prétendre à L'épouser . . . qu'elle ne pouvoit cacher son estime, son admiration pr lui, chose encor fort naturelle qu'elle ait paru en faire cas, mais qui dans L'esprit de ces austères che͞rs, qui en ont rendu compte à Tancrede, est crime, et ne peut signifier que de L'amour.

Il y a dans cette même scène un vers qui ne ns paroit point du tout placé c'est celui cy:

TANCREDE

C'est ce qui nous accable, et qui nous humilie.

Si ce nousétoit dans la bouche de Lorédan, de Catane, ou de tout autre cher, il seroit bien; mais Tanc. dans la scituation où il est ne doit pas parler en nom collectif. Cela est foible et par conséquent froid. A la bonne heure, qu'il dise: cet indigne choix achève de m'accabler, de m'humilier. Achève est même le seul mot propre car ce n'est pas là tout ce qui L'accable, mais cette honte ajoute à son accablement. Ou bien par exclamation: que cet indigne choix &c., mais toujours l'autre n'est pas ce qu'il faut.

Scène 3

TANC.

 . . . .. je m'arrache à ces lieux.

M'arrache ne paroit pas le mot. On s'arrache d'un endroit où on voudroit rester . . . .Il faudroit, fuyons de ces horribles lieux, ou quelque chose comme cela. Il y a dans la scène entre Amén. et Fanie qui suit ce départ de Tanc. un vers que ns désirerions que m. de V. changeât, c'est celui ci puis qu'il le veut, enfin, je deviendrai parjure. Ce n'est pas que le vers ne soit pas bien en lui; mais ce terme de parjure ne signifie pas L'oubli, le renoncement à son amant, il emporte une idée d'infidélité. Il semble qu'elle se propose de prendre un nouvel amant pour se vanger de lui. Ce n'est pas ce qu'elle veut dire, et on n'en sera pas en peine en discutant, mais il faut bien que cela présente d'abord ce sens, puis que sans nous en être avertis, il ns a fait à tous le même effet.

Acte 5

Scène 1 ère

LOREDAN

Ces géans.

Nous n'aimons point du tout ces géans. Il semble que ce soient des enfants qu'on en a menacés, ou du peuple à qui la peur grossit les objets. Ce ne sont pas des géants pr nos che͞rs.

Sce seconde

LOREDAN

Innocente ou coupable.

M. de V. examinera s'il n'y auroit pas quelque contradiction en cet endroit, où Loredan parle d'Amén. comme doutant si elle est coupable ou innocente, et ce qu'il dit un peu plus loin, où il paroit qu'il voit à présent qu'elle aime Tanc. et où il lui fait même quelqu'espèce d'excuse. D'ailleurs il faut voir s'il est même possible qu'il l'ignore encore, ce désespoir qui l'a portée à s'aller précipiter dans la mêlée, et ce qui ne s'est pas fait sans qu'elle ait prononcé mil fois le nom de Tancrede, devant L'avoir appris à tout le monde.

LOREDAN

Attendés loin des camps&c.

Il semble que ce n'est pas des camps qu'il faut dire. Il est bien sûr qu'elle n'y retournera pas puis qu'il vient de L'en faire arracher. C'est attendés chez vous, attendés ici . . . .

La scène entre le père et la fille pendant qu'on cherche Tancrede est infiniment changée en bien: peut-être m. d. V. trouvera t'il encore des beautés à y ajouter. Mais on n'en demanderoit pas à un autre que lui. Tout ce que dit Lorédan en ordonnant le tedéum, à la très petite remarque des géans près, est parfaitement beau. Mais ns avoüons que ns ne sommes nullement contents de tout ce qui étoit entre deux, et ns L'avoüons avec d'autant plus de confiance que m. d. V. convient lui même que cet acte n'est pas bien, ce qui ne peut regarder que cet endroit là, la fin étant admirable. Les che͞rs y sont avilis au dernier point. En y réfléchissant bien nous avons trouvé, que ce n'est pas ce qu'ils font, mais ce qu'on leur dit qui les dépriment. Car le père et la fille leur parlent toujours comme à des envieux, des babares, et ce qui est pis encor pr la chevalerie, des poltrons. Le petit adoucissement que m. de V. a voulu mettre en faisant dire à Argire, . . . et dont le trop d'éclat n'a pu&c. n'est que la même injure dite un peu moins crüement, un peu entortillée, car, n'a pu veut dire là a pu. Aussi n'avons nous pas pu ns résoudre à donner le manuscrit comme cela et ns sommes ns portés à de grandes libertés. Il est vrai que ns les prenons avec bien moins de scrupule quand il ne s'agit que d'ôter, sans même nul besoin de liaison de notre façon, que quand il faut coudre quelque chose d'aussi peu assorti que notre stile avec celui de m. d. V. Ns avons donc coupé tout franchement depuis

LOREDAN

Attendés loin des camps Tancrede et votre père Ils paroitront bientôt.

Nous allons tout de suite

AMENAIDE, à son père qui paroit

Est ce vous que je vois?

Ns espérons que m. d. V. en relisant ce couplet d'Amén. que ns avons coupé y aura peu de regret. Elle dit plus haut si bien ce qu'elle doit dire! quand elle envoye Lorédan et compagnie demander pardon à Tancrede sur le champ de bataille. Combien ce couplet que ns avons coupé est au dessous de celui-là! et puis ce reproche qu'elle fait encore relativement à elle, est déplacé dans ce moment là, où elle doit s'oublier et ne songer qu'à Tancrede, comme elle vient de le dire si noblement: vous me devriés plus&c.

Ce n'est pas tout: ns avons trouvé que rien n'étoit si indécent que la figure que font ces che͞rs quand on leur a appris que Tanc. est seul à la poursuite des ennemis. Ils restent là a se faire dire des injures par le père et la fille, et il semble qu'il faille qu'ils les poussent (comme on dit) par le cul et par la tête pr les faire aller à son secours. Je crois que m. de Ste Palaye seroit bien scandalisé de voir joüer un pareil rôle à ces nobles et preux che͞rs; sérieusement cela ne seroit pas souffert, et n'y eût-il que L'acteur qui fera Lorédan, il s'y refuseroit. Ns avons donc encor sabré tout net cet entredeux. Voici comme ns L'avons arrangé.

AMENAIDE

Quoi! Tancrede combat, et vous êtes ici?

LOREDAN

Cette ardeur qui L'emporte &c.

M. d. V. aura la bonté de relire cette scène comme cela. Nous demandons qu'il ns sauve le premier mouvement de colère de notre toutrecuidance, et après cela, ns sommes fort trompés s'il ne la trouve pas tout autrement vive, et marchant comme elle doit marcher. Il mettra, s'il le veut, quelque chose à la place de ce que ns avons ôté que ns le supplions de ne ns jamais rendre; mais ns osons croire que toutes ses réflexions bien faites à froid il n'y mettra rien, parce que ns pensons fortement que quelque beau que fût ce qu'il y pourroit mettre il sera toujours déplacé, les che͞rs ne devant pas rester sur la scène un instant après celui où ils ont appris le danger effroyable où est Tancrede.

Il ns semble que, courons le dégager, est mieux que je vais. Il est plus vif, et puis il est pour tout le monde . . . et il parle si bien pr L'assemblée qu'il dit au dessous nous le désaprouvons.

Le péril qui L'accable est-il bien éxact? il semble qu'on est en péril d'être accablé, mais qu'on n'est pas accablé par un péril.

Sce 6e

ARGIRE

O jour des changemens!

Ns trouvons cette expression beaucoup trop foible dans une scituation aussi terrible. C'est ô jour éxécrable, abominable, tout ce qu'on voudra.

M. d. V. trouvera peut-être que dans le nombre de ces remarques il y en a de minutieuses. On se permet d'autant plus volontiers toutes celles de cette espèce, que ces bagatelles coûtent peu à corriger, et que ce sont pourtant ces petites choses qui font la correction du stile, sa justesse, et souvent même celle de la pensée. Et puis ce qui ne seroit pas seulement remarqué dans un autre auteur sera critiqué dans m. d. V. Il a tellement accoutumé le public, au mot propre, à la justesse, à la clarté, à L'élégance qu'il ne lui est plus permis de faire la moindre faute dans ce genre. Aussi n'en fera t'il jamais quand il ne se précipitera pas. Il aura d'ailleurs la bonté de considérer qu'il faut que chacun fasse son métier et que celui de me Scaliger est d'être pédante.