Aux Délices, 25 février 1760
Monsieur,
Il est vray que je digère mal.
Il n'est pas moins vray que je n'ay pu digérer votre refus de me donner une quittance générale après que je vous en ay donné une.
Vous croiez que j'ay un papier de vous du mois d'avril, un double d'un ancien compte. Je me souviens qu'en effet vous me promîtes ce double, mais je ne me souviens pas que vous me l'ayez donné. J'ay toujours eu en vous assez de confiance pour n'exiger aucune sûreté. Je vous ay rendu tous les papiers que j'ay retrouvez concernant la seule affaire que j'aye jamais eue avec vous, et vous ne m'avez rendu aucun des miens. J'ay cherché pendant trois jours ce double et ne l'ay point trouvé. Il vous est d'ailleurs entièrement inutile, puisqu'il est annullé par une quittance générale.
Vous sentez bien monsieur que ma situation est précisément le contraire de la vôtre. Je vous ay rendu des papiers qui ne vous chargent pas, et vous retenez ceux qui me chargent. Je vous ay donné une quittance générale et vous ne m'en avez point donné.
J'ay datté les lettres par lesquelles je vous ai assuré que je ne vous demandais rien, et vous n'avez point datté celles d'hier et d'avant hier par lesquelles vous convenez que vous n'avez rien à me demander; ou du moins par lesquelles on peut l'inférer. Vous avez eu mon argent entre vos mains et je n'ay jamais eu le vôtre.
A mesure que vous m'avez rendu mon argent vous m'avez fait signer des reçus, et il y en a de votre main qui portent que je vous tiendrai compte. J'ay signé ces reçus par la confiance que j'ay toujours eue en vous. Mais malheureusement, il se trouve que ces Reçus, portants que je vous tiendrai compte sont des billets exigibles. Il parait par la nature de ces billets que je vous suis redevable quoyque je ne le sois pas. Je me vois exposé, moy ou mes héritiers, à payer en cas de malheur un argent que je ne dois point.
Je vous ay supplié de mettre tout en règle, de me rendre mes reçus qui paraissent être des promesses, de me donner votre quittance générale, comme je vous ay donné la mienne. Vous me refusez cette quittance, vous m'écrivez que vous ne me rendrez mes reçus, ny ne me donnerez quittance, que quand vous aurez reçu ce double prétendu du mois d'avril sur lequel vous insistez.
Mais monsieur si je n'ay pas ce double, qui vous est inutile, faut il que vous me reteniez des reçus qui me sont nécessaires? faut il que vous me mettiez en péril, quand vous n'y êtes pas! Votre famille ne peut jamais redemander un écrit double à la mienne; mais elle peut demander le payement des billets mal conçus, que vous m'avez fait signer, portant que je tiendrai compte, au lieu de mettre j'ay reçu à compte. Un héritier mal instruit peut se prévaloir de cette méprise, et me demander avec bonnefoy ce que mes héritiers ne devraient point. Il faut donc que vous me mettiéz à l'abri quand vous y êtes.
J'ay annullé, j'annulle tous billets, tout écrit à votre charge, faites en autant à mon égard. C'est une justice qu'on n'a jamais refusée, et que sans doute vous ne refuserez pas. J'ay L'honneur d'être
Monsieur
Votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire