à Strasbourg 12 aoust [1758]
Madame,
Je n'arrive que d'aujourdui à Strasbourg, ayant été jusqu'icy dans une campagne voisine.
Mon premier devoir est de présenter à vos altesses sérénissimes mon respect, ma reconnaissance et mes regrets. On ne m'avait point trompé madame quand on m'avait dit qu'un voiageur qui cherche à voir ce qu'il y a de plus estimable sur la terre devait venir vous faire sa cour. Un botaniste peut s'extasier dans votre jardin des trois mille plantes exotiques, un amateur de l'architecture peut admirer votre palais où le goust l'emporte sur la magnificence, votre altesse sérénissime doit deviner malgré sa modestie ce que pensent les amateurs de la peinture, quand ils voient de certains pastels; et moy surtout madame je suis touché plus qu'un autre des grâces de ce bel art, puisque ma maison sera ornée d'un ouvrage qui ferait honneur à Lieutard. Que vos altesses Ses me permettent en parlant de tablaux de leur donner avis qu'il y a dans Strasbourg six grands Vondermeulen et un Vandik de la plus grande bauté. Ils apartenaient au deffunt préteur Klinglin, et je suis persuadé qu'on les aura pour le tiers de leur valeur. Ils pouraient un jour orner une aile de votre Palais, et ils sont véritablement dignes d'un prince.
Je viens vite madame à ce qui m'a touché davantage, à ce qui restera pour jamais gravé dans mon cœur, c'est la bonté dont vos altesses Ses ont daigné me combler, c'est cette politesse si noble et si aisée, c'est le charme de votre conversation, le goust qui règne dans tout ce que vous faites et dans tout ce que vous dites. Votre altesse sérénissime doit sentir dans le fonds de que je luy parle avec la franchise allemande, et si elle n'en convient pas je luy déclare que personne au monde ne sera de son avis.
Je reçois madame dans ce moment sa lettre pr mr Dhermanche qu'un gentilhomme de sa cour me rend de sa part. Je vais rendre monsieur Dhermanche heureux.
Je suis avec le plus profond respect
madame
de vos altesses sérénissimes
le très humble et très obéissant serviteur
Voltaire
Un voiageur peut être sans cachet; il cachette comme il peut.