près de Geneve 18 aoust [1755]
Madame,
Je n'importune pas tous les jours votre altesse sérénissime de mes lettres.
Mais il n'y a point de jour où je ne parle pas d'elle, où je ne m'entretienne de ses bontez, et où je ne préfère la forest de Thuringe au lac de Geneve. Je m'occupe du soin de mériter la continuation de sa bienveillance, et ne pouvant actuellement me mettre à ses pieds je songe du moins à luy procurer de loin quelques petits amusements. Je voudrais luy envoier cette Jeanne que j'ay tâché d'embellir sans l'orner de ponpons. J'ai fait ce que j'ay pu pour qu'elle parût décemment devant votre altesse. J'ay voulu que sa beauté fût piquante sans avoir jamais l'air effronté que vous la vissiez avec quelque plaisir sans trop rougir pour elle; qu'enfin elle fût digne d'occuper une place dans votre maison. Il ne s'agit plus madame que de l'envoyer à vos pieds. Elle serait déjà partie si je savais comment l'adresser. Il me semble qu'il y a un banquier à Strasbourg qui reçoit quelquefois des ordres de votre altesse. Si je savais son nom je luy adresserais le paquet. J'attends vos ordres madame. Mais je ne me console point d'être hors de portée de venir les demander moy même, et d'arriver avec la fille d'honneur que je veux vous présenter. La grande maîtresse des cœurs veillerait sur sa conduitte, et la rendrait digne de vous plaire, je luy servirais de vieux sigisbé. Mais faut il se borner à ne présenter que de loin, mon profond respect à votre altesse se ?
V.