1757-11-03, de Voltaire [François Marie Arouet] à David Louis Constant de Rebecque, seigneur d'Hermenches.

Je suis venu à Lausane Monsieur pour voir quelle mine ont deux personnes nouvellement heureuses, pour faire ma cour à toutte votre famille, et en même temps j'arrange mon petit hermitage du Chêne.
Mais si votre vilaine bise n'a pas pitié de moy il n'y a pas d'apparence que je sois un de vos acteurs cet hiver à moins que vous n'ayez à me donner quelque rôle de vieux malade borgne et édenté.

J'aurais bien voulu pouvoir vous envoier les lettres qui ont excité votre curiosité, mais quand vous serez à Lausane, vous verrez que cela n'était pas possible. Vous êtes bien bon de supposer que la personne qui m'a écrit, ait de l'amitié pour moy. C'est un sentiment que les gens de son espèce ne connaissent guères. Je ne peux que le plaindre de tout mon cœur. Il ne tenait qu'à luy d'être de tous les rois le plus heureux, étant le plus riche, le plus instruit, le plus rempli de goust et de talents. Il s'est perdu, et je n'envisage rien que de sinistre. Madame la markgrave de Bareith sa sœur me mandait il n'y a pas longtemps qu'elle enviait mon sort, elle le trouverait encor plus doux monsieur si elle savait combien votre société et celle de toutte votre famille est aimable. C'est ma nièce qui jouit actuellement de tous les agréments et de touttes les fêtes du nouvau marié. Je n'assiste ny aux bals ny aux soupers. Je suis rencogné chez moy avec un emplâtre sur l'œil comme le valet du retour imprévu. Mais je suis heureux des plaisirs qu'on â. L'applaudissement qu'on donne au mariage me flatte baucoup de sorte qu'il n'y a point de plus heureux malade que moy. Je retourne planter aux Délices après quoy je reviens attendre à Lausane le jour des rois, jour au quel je rendrai mes respects à Agamemnon et au duc de Foix. Comptez toujours ma nièce et moy monsieur parmy ceux qui sentent le plus vivement tout ce que vous valez et qui vous sont le plus attachez.

..V..