1757-08-11, de Voltaire [François Marie Arouet] à Count Ivan Ivanovich Shuvalov.

Monsieur,

Celle cy est pour informer votre excellence que je luy ay envoyé une esquisse de l'histoire de L'empire sous Pierre le grand, depuis Michel Romanow jusqu'à la bataille de Narva.
Il y a des fautes que vous reconaitrez aisément.

Le nom du troisième ambassadeur qui acompagna l'empereur dans ses voiages est erroné. Il n'étoit point chancelier comme le disent les mémoires de le Fort qui sont fautifs en cet endroit.

Je ne vous ay envoyé monsieur ce léger crayon qu'afin d'obtenir de vous des instructions sur les erreurs où je serai tombé. C'est une peine que vous n'aurez pas sans doute le temps de prendre, mais il vous sera aisé de me faire parvenir les corrections nécessaires. Le manuscrit que j'ay eu l'honneur de vous adresser n'est qu'une tentative pour être instruit par vos ordres.

Ce paquet a été envoyé à Paris le 8 aoust n. s. à monsieur de Bekteiew, et en son absense à mr l'ambassadeur.

Je me suis muni Monsieur de tout ce qu'on a écrit sur Pierre le grand, et je vous avoüe que je n'ay rien trouvé qui puisse me donner des lumières, pas un mot sur l'établissement des manufactures, rien sur les communications des fleuves, sur les travaux publics, sur les monoyes, sur la jurisprudence, sur les armées de terre et de mer. Ce ne sont que des compilations très défectueuses de quelques manifestes, de quelques écrits publics qui n'ont aucun raport à tout ce qu'a fait Pierre 1er, de grand, de nouvau, et d'utile. En un mot Monsieur, ce qui mérite le mieux d'être connu de touttes les nations, ne l'est en effet de personne.

J'ose vous répèter que rien ne vous fera plus d'honneur, rien ne sera plus digne du règne de L'impératrice que d'ériger ainsi dans toutte la terre un monument à la gloire de son père. Je ne ferai qu'arranger les pierres de ce grand édifice. Il est vray que l'histoire de ce grand homme doit être écritte d'une manière interessante. C'est à quoy je consacrerai tous mes soins. J'observerai d'ailleurs avec la plus grande exactitude tout ce que la vérité et la bienséance exigent. Je vous enverrai tout le manuscript dès qu'il sera achevé.

Je me flatte que mon zèle et ma conduitte ne déplairont pas à votre auguste souveraine sous les auspices de la quelle je travaillerai sans discontinuer, dès que les mémoires nécessaires me seront parvenus.

J'ay l'honneur d'être avec les sentiments respectueux d'un attachement véritable

Monsieur

de Votre Excellence

le très humble et très obéissant serviteur

Voltaire