à Monriond près de Lausanne 15 janvier 1756
En vous remerciant de votre souvenir, mon ancien ami.
Si vous voulez me voir, comme vous le dites, dans le sein de ma famille, venez aux Délices. J'y ai déjà une nièce que vous aimez, et j'en aurai une autre dans quelque temps. Je vous mènerai d'un bout du Lac de Genêve à l'autre, et je vous ferai très-bonne chère aux Délices et à Monriond: vous mangerez des truites aussi grosses que vous qui vous donneront des indigestions; vous verrez des gens très-instruits et de beaucoup d'esprit; vous vous promènerez dans de grands et beaux jardins d'où on voit le Lac et le Rhône; vous aurez de la musique, et vous verrez qu'il ne me manque que de la santé. Malgré tout cela, vous ne viendrez point chez moi, ni moi chez vous. C'est bien assez que je vous donne des orphelins de la Chine; vous m'avouerez que cela est d'un bon cœur, mais il n'y a pas d'apparence que je fasse souvent de ces présents-là à Paris. Je suis malingre et épuisé, et il ne me reste qu'à finir paisiblement ma vie dans le plus agréable séjour que j'aye pu choisir sur la terre. J'y aimerai toujours mes amis, et vous serez au premier rang.
Je vous embrasse de tout mon cœur.
V.