1755-02-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jacques Abram Elie Daniel Clavel de Brenles.

Voicy mon cher monsieur ce tome troisième dont vous me faites l'honneur de me parler.
Cela vient par le carosse public. Je vous envoye un exemplaire tel qu'il a été imprimé. J'y joints un autre exemplaire tel à peu près qu'il paraitra dans L'édition complette de l'histoire générale. Je vous prie de donner à mr Pollier le volume relié, et de garder l'autre comme un manuscrit et une esquisse que mon amitié vous présente. Je mets dans le paquet une traduction de quelques poésies de mr Haller, que mr de Polier avait bien voulu me prêter. Pardonnez moy cette liberté. Croyez moy donc à la fin monsieur, et soyez très sûr que si le goust d'une parisienne m'a fait acquérir la jolie— elle n'est point belle— maison et le beau jardin des Délices, et si ma mauvaise santé me raproche de Geneve pour être à portée du docteur Tronchin, je prends Monriond uniquement pour m'aprocher de vous.

Monriond sera le séjour de la simplicité, de la filosofie et de l'amitié. L'acquisition auprès de Geneve coûte très cher. Le tout me reviendra à cent mille francs de France avant que je puisse en jouir à mon aise. Je serai logé là aussi bien qu'un grand négociant de Geneve; et je serai à Monriond comme un philosofe de Lauzanne. Je vous jure encor une fois que je n'y vais que pour vous et pour le petit nombre de personnes qui pensent comme vous. Si madame Goll avait pu quitter Colmar assez tôt, j'aurais pris le domaine; et elle y aurait trouvé l'utile et l'agréable. Mais je me contenterai de la maison et des dépendances, et je regarde la chose comme faitte. Ma détestable santé est le seul obstacle qui m'empêche de venir signer sous vos yeux un marché que vous seul m'avez fait faire. Nous présentons ma nièce et moy nos obéissances très humbles à madame de Brenles.

V.