1755-01-31, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jacques Abram Elie Daniel Clavel de Brenles.

Monsieur,

Non, je ne vous échappe pas.
Quand j'habiterais aux portes de Genêve, ne viendrais-je pas quelquefois vous voir? et ne daigneriez-vous pas vous et Madame de Brenles venir passer chez nous quelques jours? Tout est voisinage sur le bord du Lac. Vous avez très-bien déviné: la maison qu'on me vend est d'un grand tiers audessous de sa valeur au moins; mais elle est charmante, mais elle est toute meublée, mais les jardins sont délicieux, mais il n'y manque rien, et il faut savoir payer cher son plaisir et sa convenance. Le marché ne sera conclu et signé par devant Notaire que quand toutes les difficultés résultantes des Loix du pays, auront été parfaitement levées; ce qui n'est pas un petit objet. Le Conseil d'Etat donne toutes les facilités qu'il peut donner; mais il faut encor bien d'autres formalités pour assûrer la pleine possession d'une acquisition de 90 mille livres. Les paroles sont données entre le vendeur et moi. J'ai promis les 90 mille livres à condition qu'on se chargera de tous les frais, et de m'établir toutes les sûretés possibles. Avec tout cela l'affaire peut manquer: mille négociations plus avancées ont échoué. Que fais-je donc? Je me tourne de tous les côtés pour ne pas rester sans maison dans un pays que vous m'avez fait aimer. J'aurai incessamment des réponses touchant les maisons de Mr Dervart. Je préférerais Prelas, vous n'en doutez point, puisqu'il est dans votre voisinage: mais nous soupçonnons qu'il n'y a qu'un appartement d'habitable pour l'hiver, et il faut remarquer que nous sommes deux qui voulons être logés un peu à l'aise. Voilà la situation où nous sommes. Il faut absolument que je prévienne l'embarras où je me trouverais si l'on ne pouvait m'assûrer à Genêve l'acquisition qu'on m'a proposée. Somme totale, il me faut les bords du Lac, il faut que je sois votre voisin et que je vous aime de tout mon cœur. Je n'achète des chevaux que pour pouvoir venir vous voir soit de Genêve, soit de Vévay, dès que ma santé me permettra d'aller.

Mille respects à me de Brenles. Je vous embrasse et vous demande pardon.

V.