à Prangin 11 février 1755
Je commence monsieur par vous remercier.
Mon second devoir est de vous prier de présenter mes respects à mr et me Mallet. Le troisième est de vous dire que les ombres-chevaliers sont plus aiséz à manger qu'à digérer.
Après ces préliminaires nous vous prions madame Denis et moy de vouloir bien faire en sorte que nous puissions incessament aller visiter le domaine que nous vous devons, et prendre nos mesures pour nous y établir quand la saison sera moins rude.
J'ay trouvé encor un petit expédient pour vous donner de l'argent. Ayez la bonté d'écrire à mr Jean Turkeim, négociant à Strasbourg, c'est luy qui me fait toucher mes rentes. Il reçoit 28000lt et plus, argt de Frce par an pour moy. Il s'est arrangé avec le receveur pour me faire tenir sans frais mon argent tous les six mois. On me devra 14000lt au 1er mars prochain. J'ay prié ce mr Turkeim de choisir un négociant de Geneve pour m'envoier régulièrement de quoy vivre. Voulez [vous] bien être ce négotiant? C'est proposer à un amiral de commander une chalouppe, mais descendez s'il vous plait du grand au petit, écrivez à ce Turkeim et partageons.
Je vous en prie, soyons en commerce. Apropos savez vous que vous êtes très aimable? C'est madame Denis et moy qui vous le disons; et quoyque je sois académicien, et que vous manquiez un peu à l'ortografe, je suis très content de votre stile.
Je vous embrasse et suis réellement Mr
v.t.h. et ob. serv.
Voltaire