1755-01-26, de Jean Louis Dupan à Suzanne Catherine Freudenreich.

Mr de Voltaire fait ici le sujet des conversations, on en écrira sans doute à Berne, je vais vous instruire, Madame, de ce dont il s'agit.
Il pensoit à s'établir auprès de Lausanne, mais soit qu'il en ait craint les beaux esprits, qui ont marqué un peu trop d'empressemt pour être en relation avec lui qui ne cherche que le repos, soit qu'il n'ait pas voulu s'éloigner du Docteur Tronchin ou de Mrs Cramer les Libraires, il s'est déterminé à se fixer auprès de Genève, il a visité quelques campagnes à vendre ou à loüer, celle de mr. le Consr Mallet à St Jean lui a plu, il en a offert ou fait offrir par Mrs Cramer 80 m. Livres argt de France, ces Mrs prêtant leur nom pour le contract, parce que Voltaire ne pourroit pas acheter sur notre territoire. Mr Mallet n'a pas été content de cette offre et la négociation a paru rompüe; on a proposé ensuite à Mr de Voltaire la campagne de made Gallatin veuve du capitaine tué à Ostende, elle est située à Cologni, et c'est la plus belle de nos maisons de campagne. Voltaire y vint coucher Jeudi avec mr Jaquet et Mrs Cramer, il en fut enchanté et en offrit 40 m. écus argt de France, disant que s'il étoit plus riche il en donneroit davantage, et que si made Gallatin, qui étoit à Geneve, acceptoit sa proposition, il écriroit au bas du contract qu'il en auroit pour elle une reconnoissance éternelle, Mr le Consr Jaquet se charge de la parole de Voltaire et lui promet réponse dans le jour, on quitte Cologni, c'étoit vendredi matin, Voltaire veut voir en passant à Geneve mr de Montperoux, et made Denis fait une visite à made Tronchin la Conseillère que vous avez vu à Berne; un ami de mr Mallet va les joindre chez Mr Tronchin, les sollicite de prendre St Jean, d'en offrir quelques centaines de louïs au delà des 80 m. francs, il se laisse gagner, promet 300 Louis qui font £. 7200, on le fait signer et il part pour Prangin.

D'un autre côté Mr Jaquet sollicite sa belle sœur Gallatin d'accepter les 40 m. écus qui lui sont offerts, elle s'y résout, et le même jour vendredi mr Jaquet écrit à mr de Volt. que made Gallatin accepte sa proposition, et qu'elle regarde le marché comme conclu. Voltaire répond d'un stile embarrassé, les Parents de made Gallatin sont très piquez, ils veulent que Voltaire tienne sa parole, mr Mallet a sa signature dont il ne veut pas se désister; tout cela fait un embarras dont je ne vois pas encore l'issüe, peut être en saurai-je quelque chose avant le départ de cette lettre.

… La guerre des campagnes est finie, mr de Montperoux a été l'un des médiateurs, made Gallatin a cédé et a rendu à mr de Voltaire sa parole, st Jean lui demeure. Mr Mallet vend par une sorte de nécessité, made Gallatin ne s'y porte que par convenance et contre son goût, son mari étoit frère de made Mallet, elle s'est désistée de bonne grâce dès la première demande qu'on a fait auprès d'elle pour l'y engager. Quant à Voltaire, je crois que Cologni lui convenoit mieux, la maison est plus belle et plus logeable, la vue est plus étendüe et plus brillante, et le fonds valoit mieux son prix.