De ma prison au Château de Lausanne le 12e Aoust 1763
Monseigneur,
Je vous suplie de lire ma Lettre jusqu'à la fin, vous y verrés quelques choses qui vous étonnera de la part de Monsieur de Voltaire….
Je passe à ce qu'il s'agit avec Monsieur de Voltaire.
Dès le 26e du mois passé mon frère, Maitre Imprimeur à Geneve, et qui est un peu également le sujet de la haine de Messs Cramer, me marqua que Mr de Voltaire l'avoit fait demander, et qu'il lui avoit dit qu'il vouloit lui faire sa fortune; et en effet il lui remit tout de suite des feuilles de Mssts pour un ouvrage de deux volumes in 8. à faire sur le petit Romain; et il s'offrit de le corriger lui même; Il le chargea en même temps d'écrire à tous les Libraires de France, d'Allemagne, de Hollande et d'Angleterre, ce que mon frère est hors d'état de faire. Il étoit assés naturel de penser qu'il m'écriroit à moi tout le premier, aussi le fit-il, et je lui répondis d'une manière à m'excuser des prétendus torts que j'ai vis à vis de mr de Voltaire. Tous nos amis ici qui ont comuniquation de la Lettre de mon frère, y crurent voir ou une avance qu'il me faisoit (j'ai peine à le croire) ou un piège. Enfin avant hier 10e du courant voici ce que m'a écrit mon frère:
Geneve le 10e Aoust 1763
Mon Très Cher frère,
Une Lettre que je reçut hier de Mr de Voltaire m'à fait un sensible plaisir à vôtre sujet puisqu'il a la bonté de m'ordonner de vous faire savoir, que quoi que il aye beaucoup à se plaindre de vous il vous pardonnera à condition que vous lui dirés vos torts vis à vis de lui. Je croit que vous h'hésiterez pas un moment de faire ce qu'il exige: C'est à ce prix qu'il vous accordera sa grande Protection. J'espère aprendre de vous ce que vous aurez fait à ce sûjet, afin que je le puisse remercier des bontés qu'il veut bien avoir pour vous. J'attend vôtre réponse par tout 1r courier et suis vôtre très dêvoué frère. Signé Gabriel Grasset. P. S. Monsieur de Voltaire a dit aussi qu'il s'employera auprès de Leurs Excellences de Berne & qu'il n'y à que la seule excuse que vous lui ferez qui vous puisse attirer sa Protection.
J'ai écrit hier à Mr de Voltaire pour lui dire que j'acceptoit la condition qu'il exige, et quels autres aveux ait-je à lui faire que d'avoir contribué à l'impression de la Guerre Littéraire?
Je vous suplie Monseigneur de ne pas m'abandonner, et de ne pas manquer de me renvoyer la copie de la requête que j'ai eut l'honneur de vous faire; Je prend la liberté de me dire avec le plus profond respect
Monseigneur
Vôtre très humble & très Obéïssant serviteur
François Grasset