1755-01-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Tronchin.

Monsieur,

Je me souviens d'une comédie dans la quelle une mère fait une sommation d'épouser sa fille parce qu'on l'a trouvée Belle.

Cologni est beau. St Jean est agréable. S'il s'agit de paroles, j'avais donné parole à St Jean avant de connaitre les charmes de Cologni. J'avais promis 80m. Livres de France. Je les donne, et je n'y ajoute que le payement de tous les frais.

St Jean est le premier en datte. Cologni a couru sur le marché de St Jean. Je suis neutre. Vous êtes juge. On en a parlé au conseil. Je ne feray que ce qui paraîtra juste au conseil et à vous.

Je ne décide point entre Geneve et Rome. Je ne décide point entre Jean et Cologni. Voicy ma lettre à madame de Galatin. Lisez et décidez.

On me propose vingt deux maisons des portes de Lauzane aux portes de Geneva. Je suis vieux et malade. J'attends paisiblement quel tombeau le sort me donnera. Il me serait doux de vivre et de mourir auprès de vous dans le sein de la liberté, du repos et du bon esprit qui fait le caractère de vos concitoyens.

Je révère votre gouvernement, j'adore la liberté, j'aime la retraitte, mon corps a besoin de Monsieur Tronchin le médecin. Mon esprit a besoin de la société qu'on trouve à Genève. J'ay toujours dit qu'à vingt cinq ans il fallait vivre à Paris, et qu'à cinquante il fallait vivre icy.

Je ne me mêlerai de rien que d'attendre vos ordres et ceux du conseil.

Je suis avec toutte la reconnaissance que je vous dois

monsieur

votre très humble et très obéissant serviteur

On m'aprend que tout est accomodé. On m'écrit que made Galatin a résigné ses droits. Elle n'en avait aucun. C'était moy qui avais le droit d'exiger qu'on me prouvast que Cologni vaut 3600 de rente (le grand vignoble distrait). C'était moy qui étais en droit de dire, vous m'assurez par le mémoire écrit, 3600 de rente. Justifiez votre foy par vos œuvres.

Mais encore une fois je ne suis engagé à rien. Je ne metray le pied sur le territoire de Geneve que quand j'auray la certitude entière de ne mécontenter personne, quand il ne restera pas le moindre levain, quand je serai désiré par les deux partis.

Au reste monsieur je me mets absolument entre vos mains. J'auray l'honneur de vous écrire une lettre pour le conseil suivant les instructions que vous aurez la bonté de me donner.

Voltaire