à Versailles 11 juin 1748
Monsieur,
Il paroit depuis quelques jours dans Paris une édition en 12 volumes de mes prétendus ouvrages.
Dans cette édition subreptice il y a quatre tomes entiers de pièces étrangères remplies des plus affreux scandales, de libelles diffamatoires contre des personnes respectables, et des impiétez les plus abominables. Je sçais à n'en pouvoir douter que L'ouvrage est imprimé à Rouen, et j'en ay fait écrire à M. le premier président, à qui j'ay eu aussi l'honneur de m'adresser. Je prendray même la liberté, si cela est nécessaire, d'en instruire sa majesté. Je n'ay pu encor en parler à M. le comte de Maurepas qui depuis quelques jours n'est pas à Versailles. Mais monsieur je suis persuadé qu'il suffit de m'adresser à vous pour réprimer cet horrible scandale qui intéresse les loix et la relligion. Il y en a un magazin dans Paris, ce n'est pas chez les libraires, et on ne peut parvenir à en avoir connaissance que par les principaux colporteurs. Le sr de Bauchamp qui a je crois un département dans la librairie et sur la bienveillance de qui je peux compter pouroit se donner quelques mouvements avec prudence et sans effaroucher personne, si vous aviez la bonté de luy en dire un mot. Je n'ose vous proposer monsieur d'en ordonner des recherches par les commissaires, et les exempts préposez pour cette partie de la police. Ils sont trop connus, et leur seule présence est un avertissement qui sert à faire cacher ce qu'on cherche à découvrir. Mais monsieur si vous pouviez seulement ordonner à quelque personne moins connue de chercher le livre, vous en auriez peutêtre des nouvelles, et on remonteroit à la source. De mon côté dès que j'auray fini mon quartier auprès du roy, je metray des gens en campagne et j'auray l'honneur de vous donner avis de ce que j'auray découvert. J'ay cru en attendant qu'il étoit de mon devoir d'avoir recours à vous dans une affaire où il s'agit de L'ordre et du bien public.
Je vous suplie de vouloir bien donner quelques ordres. Je vous en auray une extrême obligation. J'ay l'honneur d'être avec des sentiments respectueux,
monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire gentilho͞e ordre du roy