1748-06-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas René Berryer de Ravenoville.

Monsieur,

Monsieur le premier président de Rouen me fait l'honneur de me mander qu'il y a apparence que Le dépost de l'édition infâme que j'ay déférée, est probablement auprès de Paris selon l'usage des imprimeurs de Rouen qui lors qu'ils ont fait une édition subreptice l'envoyent dans des magazins sur la route d'où ils la font entrer dans Paris.

Voicy monsieur une lettre cy jointe qui m'arrive de Versailles par la quelle on m'instruit que le nommé Lefevre, libraire, étaleurà Versailles, vend le tome de la Henriade qui sert de premier volume à l'édition en 12 tomes déférée à la justice du ministère.

Le colporteur qui vend dans Paris à madame Doublet et à mr de Bachaumont aux filles de st Tomas, leur a vendu un exemplaire de cette édition en douze tomes, j'ay vu cet exemplaire, je l'ay exactement confronté, avec le volume contenant la Henriade le quel on vend séparément, qui vient du même magazin, qui est imprimé par les mêmes éditeurs, et qui est débité à Versailles par le nommé Lefèvre publiquement.

J'ay l'honneur monsieur de vous présenter une de ces Henriades que Lefevre vend. Vous pourez je croi savoir aisément de luy où est le magazin de toutte cette édition. Il ne peut refuser de vous dire d'où il tient son Henriade. Ce livre étant permis, il ne doit point celer d'où il le tire, et s'il ne L'avoue pas, c'est s'avouer coupable de L'édition scandaleuse dont cette Henriade fait le premier tome.

Je me repose de tout monsieur sur votre prudence, sur vos bontez et sur votre justice. Je me flatte que Mgr le comte de Maurepas voudra bien employer son autorité, et concourir avec vous pour supprimer ce désordre.

Je vous remercie, monsieur, des attentions favorables dont vous avez bien voulu m'honorer dans cette occasion.

J'ay l'honneur d'être avec reconnaissance,

Monsieur,

Votre très humble et très obéissant serviteur,

Voltaire