[c. 1 June 1755]
Je voudrois bien, Madame, pouvoir calmer vos inquiétudes au sujet de la pucelle.
Je sens combien il seroit fâcheux à tous égards pour m. de Voltaire que cet ouvrage parût dans les circonstances présentes. Mais inutilement feroit on des défenses expresses d'imprimer un livre aussi connu et dont le nom seul emporte la défense la plus absolue. Vous pouvés estre persuadée qu'il n'y aura de ma part aucune permission ny directe ny indirecte. Je ne crois pas non plus qu'aucun de ceux qui ont quelque sorte d'authorité entre les mains, protège cette édition furtive que vous craignés. Quant aux petits auteurs affamés et aux libraires et colporteurs qui ne le sont pas moins, ce ne sera certainement pas à moy qu'ils s'adresseront quand ils voudront donner une édition de la pucelle, et les ordres particuliers que vous me demandés ne feroient que réveiller leur cupidité et apprendre à ceux qui ne le sçavent pas encore qu'il y en à plusieurs exemplaires répandus dans le public.
Je suis avec respect, Madame, Votre très humble et très obéissant serviteur.
de Lamoignon de Malesherbes
Oserois je vous prier, Madame, de vouloir bien assurer m. de Voltaire que de tous ses admirateurs, il n'y en à point qui prenne plus de part que moy aux événemens dont sa vie est traversée. Mais je suis persuadé qu'il conviendra que le parti que je prends est beaucoup meilleur, que des défenses qu'on feroit publier dans la librairie. En effet s'il est encore possible d'empêcher que les premiers chants de la pucelle ne paroissent, ce que je crois au moins très difficile, il n'y à que le ministre qui a la police de Paris dans son département qui puisse vous rendre ce service. Je connois la façon de penser de m. d'Argenson pour m. de Voltaire et pour vous, et je ne doute pas qu'il n'y employera les moyens les plus efficaces quand vous l'en prierés, mais avec cela je ne répondrois pas qu'il réussît.